Le crime de Martiya Van der Leum - Mischa Berlinski
"Il est un fait regrettable dont tout voyageur fait tôt ou tard l'expérience : il n'existe aucun endroit au monde, aussi exotique, lointain ou beau fût-il, où l'ennui ne finit pas par s'installer."
Tout commence quand Mischa, jeune journaliste américain vivant depuis peu en Thaïlande, apprend l'existence de Martiya Van der Leum, une anthropologue occidentale qui croupit dans une prison de Chang Mai pour avoir commis un meurtre. Mischa se passionne pour cette histoire, veut comprendre. Mais il n'a pas l'occasion de rencontrer Martiya, qui se suicide en prison. Mischa commence donc une enquête, qui se révèle d'autant plus difficile que les témoins sont de moins en moins nombreux. Mais en retrouvant une vieille tante, un ancien petit copain, un directeur de thèse, il va réussir à dévider peu à peu le fil de la vie de Martiya Van der Leum, et faire apparaître une jeune femme aussi brillante que déterminée et indépendante, qui quitta un jour la Californie pour aller passer trois ans dans une tribu méconnue, dont l'étude ethnographique devait être le sujet de sa thèse.
Un gros roman exotique qui nous emmène aux confins de le jungle thaïlandaise, c'est exactement ce dont j'avais besoin en ce moment. On ne peut pas dire que Mischa Berlinski manque d'imagination, mais ce bouquin contient quand même quelques longueurs*, pas des longueurs ennuyeuses ou rébarbatives, mais des longueurs qui nous éloignent du cœur du sujet, de l'intrigue principale : ce meurtre énigmatique, qui se révèle d'ailleurs quand il est dévoilé, tout à fait inattendu et surprenant.
"Je n'hésiterais pas à affirmer que les esprits sont des tyrans et des brutes. Ce sont des créatures terribles, à n'en pas douter. Et les Dyalo en ont plus qu'assez de se voir dicter leurs faits et gestes par ces horribles créatures. Si quelqu'un de plus grand que vous, de plus méchant que vous et de plus fort que vous, vous dictait votre comportement… vous n'appelleriez pas ça de l'esclavage ? "
Le vrai sujet du roman, en fait, c'est la conversion des tribus montagnardes au christianisme. Il y a donc plusieurs romans dans le roman, chacune fourmillant de détails, de personnages saugrenus et d'anecdotes hilarantes. On sent bien que l'auteur s'est amusé en créant presque de toutes pièces une tribu exotique aux mœurs éminemment bizarres, et une famille de missionnaires un rien illuminés (une foi et un enthousiasme inébranlables) convaincus qu'il n'existe ni salut ni bonheur en dehors du Christ. Les uns s'étant donné pour sacerdoce de convertir les autres au christianisme. En trois générations, les Walker sont devenus plus dyalo que les Dyalo, parlant couramment leur langue, connaissant le détail de toutes leurs coutumes, et allant jusqu'à inventer un alphabet dyalo et traduire la Bible en dyalo. A côté, Martiya avec ses questionnaires, ses carnets de notes et ses théories a un peu l'air d'une touriste.
L'auteur fait preuve d'un humour désenchanté qui est assez réjouissant, pour nous raconter cette histoire d'une façon tout sauf linéaire, dans le désordre, façon puzzle, avec des lacunes. Dommage que l'héroïne s'efface régulièrement au profit du narrateur, car il est assez difficile au lecteur de s'en faire une idée vraiment concrète, tout comme il faut arriver à la toute fin de l'histoire pour comprendre à quel point cette anthropologue s'était identifiée à la tribu qu'elle était supposée étudier et à quel point elle avait fait siennes leurs coutumes, leur traditions et jusqu'à leurs superstitions.
"Alors il s'est retourné. Et j'ai vu le Riz. Le Riz, on le connaît ou on ne le connaît pas. Le Riz est comme la brume, qui monte des rizières, comme des flammes d'argent. Je ne savais plus où je commençais, et là où il finissait. Il avait embrasé la rizière. Ses caresses, son odeur… d'où vient une chose si délicieuse ?"
Ce roman qui nous montre ce qu'est le travail d'un anthropologue, contient une critique à peine voilée du prosélytisme chrétien qui, en voulant imposer le même dieu à tout le monde, a détruit des traditions millénaires. Et si Martiya a été envoutée, on peut se demander si c'est par les esprits, la folie, l'amour ou la colère.
Chaudement recommandé par Mior
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par
Albin Michel, 2010. - 464 p.
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*Dans les remerciements, l'auteur remercie d'ailleurs son éditeur de l'avoir incité à supprimer quelques chapitres. Je pense qu'il aurait du couper davantage.