Le chemin des âmes - Joseph Boyden
Amérindiens, Guerre de 14-18, voilà deux thèmes qui semblent à mille lieux l’un de l’autre, et pourtant il y avait bel et bien des Indiens d’Amérique du Nord dans les tranchées de la Grande Guerre. C’est pour leur rendre hommage que Joseph Boyden a écrit ce roman.
Xavier et Elijah sont deux Indiens Cree, qui ont grandi sur les bords de la baie James, au Nord du Canada. Ils mènent une vie très traditionnelle, entre trappe, chasse et pêche, rythmée par l’alternance des saisons, et bien à l’écart de la civilisation des Blancs. Pourtant, en 1915, ils décident de s’engager pour aller combattre dans cette guerre qui ravage l’Europe. Après quelques mois d’entraînement du côté de Toronto, c’est la grande traversée, et la découverte du front dans le Nord de la France. L’enfer en noir et blanc : des tranchées insalubres, de la boue, une pluie d’obus à longueurs de journée, des combats contre un ennemi invisible pour gagner quelques mètres de terrain. Les deux amis comprennent vite que pour survivre dans cette guerre de tranchée, il faut se comporter en chasseur. Et la chasse, c’est leur spécialité, ils ont très bons. Ils vont très vite devenir tireurs embusqués, toujours en équipe, toujours inséparables, comme ils le sont depuis leur enfance.
Mais très vite, dans cet univers cruel où l’homme se retrouve face à lui-même, les différences de leurs caractère vont s’accentuer. Xavier est plutôt modeste et réservé, sa mauvaise connaissance de la langue anglaise l’empêche de se lier avec ses camarades de régiment, tout en attirant les critiques racistes sur lui. Elijah, au contraire, est un séducteur, un baratineur casse-cou, qui n’a peur de rien et rêve de gloire. Il veut rentrer au pays en héros, et devient très vite le héros de sa section, mettant sans cesse ses exploits en avant, alors que des deux c’est Xavier le meilleur tireur, Xavier qui est comme transparent… Mais surtout, Xavier déteste tuer, il y est obligé pour survivre, mais ça lui coûte beaucoup, alors qu’Elijah découvre très vite qu’il prend plaisir à tuer et à tenir le compte macabre de ses victimes…
L’histoire est racontée à deux voix. D’un côté, Xavier, qui vient de rentrer chez lui malade et blessé, revit ses trois années dans les tranchées ; de l’autre, Niska, sa vieille tante qui l’a élevé et qui essaie de le maintenir du bon côté de la vie en lui racontant sa jeunesse. Nous découvrons donc deux mondes opposés et aussi difficiles : le monde blanc et hivernal de Niska où la survie est une lutte contre la nature et le monde noir et guerrier de Xavier où la survie est un combat contre l’humain. Mon seul regret est ne pas avoir lu ce roman avant Les saisons de la solitude, qui en est une suite, parce qu’on y apprend des éléments essentiels sur la famille Bird, qui se transmet un don de père en fille et de tante en neveu : Niska est une tueuse de windigos.
Et dans ce magnifique roman, Joseph Boyden nous montre aussi combien la guerre déshumanise ceux qui la font, comment elle conduit l’être humain à redevenir un animal. Et je dois dire que j’ai trouvé toutes ces scènes de combat assez difficiles à supporter, l’auteur ne nous épargne rien, ni la boucherie, ni la vermine, ni la morphine qui permet de tenir. Plus les mois passent et plus la guerre devient âpre et rude, seuls les vétérans ont une chance de survivre, les bleus se font descendre en quelques semaines. Et on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi ces millions de jeunes gens sont morts de façon souvent atroce (comme des milliers de jeunes gens trouvent encore la mort aujourd’hui dans des combats atroces, un peu partout dans le monde) : tout ça pour quoi ?
Un grand merci à Amanda pour le prêt.
Un roman qui a séduit : Jules - Wictoria - Dédale - Neph - mAlice - Kathel - Yv - Chimère - Katell - Pascal
Traduit de l’anglais (Canada) par Hughes Leroy
Albin Michel, Année. – 392 p.