L'ordre des jours - Gérald Tenenbaum
Rentrée littéraire 2008
Début 46, la guerre est terminée depuis plusieurs mois et les convois de déportés commencent à revenir. Solange attend son père, Isy. Autrefois, Solange s'appelait Sarah, jusqu'au jour où la vie est devenue dangereuse pour les petites Sarah. A défaut de retrouver son identité, Solange espère retrouver son père. Mais il ne revient pas et Solange attend en vain. Et c'est Max, meilleur ami d'Isy et compagnon de captivité, qui arrive. Solange questionne, essaie de savoir, mais Max garde ses secrets. Sauf un : "Ton père, il ne faut plus l'attendre". De cette phrase, Solange ne peut se contenter. Comment faire son deuil quand on ne connait ni le lieu, ni l'heure, ni les circonstances ? Quand il n'y a nulle tombe où se recueillir ?
"Sur la plaque, il y a les fusillés, les morts au combat, les tués en mission, et trois disparus, trois déportés, ajoutés en fin de liste, comme pour faire bonne mesure. Quand elle passe, Solange ne s'arrête jamais, mais les trois noms, elle les connaît, Thirion, Celin et Cousin, trois déportés pour hauts faits, trois morts pour ce qu'ils ont fait. Les autres, qu'on a déportés pour ce qu'ils étaient, sont au-delà de la liste, dans le blanc du marbre blanc, dans l'air du temps, temps d'un soupir, blanc des yeux."
Alors Solange met sa vie un peu en suspens, renonce à devenir écrivain, rencontre Simon, autre enfant de déportés, et continue de chercher le fil qui la mènera à son père.
Le chemin va être long et périlleux jusqu'à la découverte de la vérité.
Ce roman aborde un thème assez peu présent dans la littérature : le destin des enfants de déportés juifs, ces enfants qui ont vu disparaître leurs parents par un matin vert-de-gris et les ont attendus en vain pendant des années, avec en toile de fond toute l'horreur dévoilée sur les camps de concentration et la solution finale.
Gérald Tenenbaum a une plume très poétique : chaque phrase brode avec les mots (et les maux) et mêle en contrepoint ce qui est vu, entendu, ressenti. Le monde entier fait écho à la douleur de Solange :
"Malgré elle, malgré soi, écoutant sans le regarder, mais laissant les mots descendre, malgré elle, malgré soi, alors que la locomotive entre en gare surmontée de sa fumée noire, si noire, Solange frissonne.
... Du retour... des beaux jours...
Il y a des gens qui n'attendaient que ça, le retour des beaux jours, juste ce retour-là, rien que ça, les beaux jours, des gens qui ont laissé s'égrener l'ordre des jours avec cette seule idée en tête, demain il fera jour, à chaque jour suffit sa peine, après la pluie, les beaux jours, après la nuit... le brouillard."
Cette écriture analytique dessine un vrai, beau portrait de femme, courageuse, acharnée, fragile, véritable héroïne tragique d'une vie marquée par le sceau du destin. Malgré quelques longueurs (mais le temps est toujours long quand on attend), Gérald Tenenbaum nous livre un roman émouvant qui pose une question cruelle : comment continuer sa vie quand on vous a tout pris ?
Les billets de Cathulu et de Laurence.
Editions Héloïse d'Ormeson, 2008. - 212 p.
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Sur le thème de la déportation des juifs, un livre à lire absolument: Journal d'Hélène Berr.