Journal - Hélène Berr
Elle avait vingt et un ans.
Elle était belle, intelligente et cultivée.
Elle étudiait la littérature anglaise, jouait du violon et aimait passer ses dimanche à la campagne.
Elle aurait pu avoir la vie devant elle, mais elle était juive dans la France de Vichy.
Hélène Berr commence son journal en avril 1942, « pour ne pas oublier, parce qu’il ne faut pas oublier. ». C’est le moment où les lois anti-juives se multiplient, et avec elles, les persécutions. Interdiction pour les juifs de se présenter aux concours administratifs, d’aller au théâtre, dans les magasins, et bientôt obligation de porter l’étoile jaune. Mais, malgré cette ambiance d’angoisse et d’humiliations, Hélène semble mener la vie de toute jeune fille : les cours à la Sorbonne, la musique avec son petit orchestre familial, les promenades, les sorties, les livres lus, l’amour.
« C’est le premier jour où je me sente réellement en vacances. Il fait un temps radieux, très frais après l’orage d’hier. Les oiseaux pépient, un matin comme celui de Paul Valéry. Le premier jour aussi où je vais porter l’étoile jaune. Ce sont les deux aspects de la vie actuelle : la fraîcheur, la beauté, la jeunesse de la vie, incarnée par cette matinée limpide ; la barbarie et le mal, représentés par cette étoile jaune. »
Mais la nasse se resserre. En juillet, c’est la rafle du Vel d’hiv. Dès le lendemain, Hélène devient bénévole dans une association qui s’occupe des orphelins juifs. Puis son père est arrêté et envoyé à Drancy. Il en sortira quelques semaines plus tard contre paiement d’une rançon. Hélène tente désespérément de se raccrocher à sa vie d’étudiante, mais elle sent chaque jour douloureusement le fossé qui la sépare des gens « normaux », les autres, ceux qui ne risquent pas l’arrestation à tout moment, ceux qui ne sont pas stigmatisés dans chacun des gestes de leur vie quotidienne, ceux qui ne savent pas.
Elle interrompt son journal en novembre 1942 quand son fiancé décide de quitter Paris pour rejoindre les Forces françaises libres. Elle le reprend en août 1943, dans le but cette fois de laisser une trace :
« Car comment guérira-t-on l’humanité autrement qu’en lui dévoilant d’abord toute sa pourriture, comment purifiera-t-on le monde autrement qu’en lui faisant comprendre l’étendue du mal qu’il commet ? »
Autour d’elle le vide s’est fait : amis, parents et relations sont les uns après les autres arrêtés et déportés. Et pourtant la famille Berr refuse toujours de quitter Paris. Hélène tente tant bien que mal de se raccrocher à ses études et à son rôle de bénévole. Mais dans cette seconde partie, son ton se fait beaucoup plus grave. Elle relate tous les évènements tragiques dont elle a connaissance : arrestations, tortures, exécutions. Mais elle mène aussi une véritable réflexion sur la guerre, le bien et le mal, le nazisme. Il y n’y a pourtant chez elle nulle haine. Toute son énergie est tournée vers les autres : ceux qui sont « partis » et dont elle est sans nouvelles, ceux qui restent et doivent affronter solitude, angoisse et souffrances. Elle ne se fait aucune illusion sur son avenir :
« Penser que si je suis arrêtée ce soir (ce que j’envisage depuis longtemps), je serai dans huit jours en Haute Silésie, peut-être morte, que toute ma vie s’éteindra brusquement, avec tout l’infini que je sens en moi. »
Son journal se termine sur ces mots empruntés à Shakespeare : « Horror, horror, horror. »
Hélène Berr a été est arrêtée le 8 mars 1944. Elle est morte au camps de Bergen-Belsen en avril 1945, à l’âge de vingt-quatre ans.
C’est peu de dire que ce livre m’a bouleversée. J’en suis sortie en larmes avec le sentiment d’avoir perdu une amie précieuse trop peu connue. Car c’est en grande partie sur la personnalité de l’auteure que repose la valeur de ce journal, jeune femme brillante, généreuse, humaniste, d’une force de caractère assez peu commune. Et son témoignage écrit au jour le jour nous permet de voir de l’intérieur ce que fut cette époque horrible pour les juifs. Et ce qui rend terrible ce témoignage c’est ce que nous savons aujourd’hui de l’horreur de ce que furent les camps de concentration. Nous savons, nous lecteurs, vers quel enfer sont partis Hélène et tous les siens. Et nous aimerions penser que tous ces innocents ne sont pas morts pour rien. C'est pourquoi nous devons lire et faire lire ce livre, témoignage exceptionnel d'une femme exceptionnelle.
L'avis d'Amanda.
Editions Tallandier, 2008. - 300 p.