Réparer les vivants - Maylis de Kerangal

Vingt-quatre heures.
Vingt-quatre heures entre le moment où trois garçons de vingt ans se retrouvent sur un parking pour aller faire du surf à l’aube, et le moment où dans un hôpital parisien une patiente aura reçu un nouveau cœur.
Vingt-quatre heures pour réaliser une transplantation cardiaque, c’est ce que raconte ce roman.
Ça commence en tragédie, avec une jeune vie fracassée contre un pare-brise et une famille en pleurs, ça se termine par le don fait à une femme de cinquante ans de prolonger la sienne, de vie. Une vie pour une autre vie.
Et pour que ce miracle soit possible, ce miracle de transporter un organe aussi fragile qu’un cœur d’un corps à un autre, d’un corps sans vie à un corps à deux doigts de la mort, il aura fallu toute une chaîne de gens compétents, une mécanique parfaitement huilée, beaucoup de technologie et de logistique, certes, mais surtout beaucoup de médecins et d’infirmiers, beaucoup d’humanité, en somme.
Et c’est sans doute la force de ce roman de faire en sorte que chaque maillon de la chaîne ne soit pas juste un figurant, mais un vrai personnage, avec une vie, une famille, des amours, des hobbies, même si parfois une abondance de détails sur la vie de l’un ou de l’autre nuit un peu à l’efficacité de l’ensemble. Mais cette humanité même nous permet d’oblitérer un peu l’horreur de ce qui se présente à nos yeux, dans une plume belle, tantôt lyrique et tantôt précise, qui ne nous épargne rien.
Car derrière ce miracle technologique qui permet à un patient de recevoir un nouveau cœur, il y a beaucoup de douleur et d’horreur, douleur de la famille qui n’a pas le temps de faire son deuil avant de devoir répondre à cette question : donner ou ne pas donner, horreur de voir un jeune corps dépouillé de ses organes, angoisse de celle qui reçoit ce cadeau d’un genre particulier, vital et tragique à la fois.
Et si ce roman est si bouleversant c’est sans doute parce que l’auteure ne fait l’impasse sur aucun des sujets gênants, mais c’est aussi parce qu’il est si plein de vie, de beauté et de passion et nous rappelle pourtant que la mort est à un cheveu de la vie.
« Ce qu’est ce cœur, ce qui l’a fait bondir, vomir, grossir, valser léger comme une plume ou peser comme une pierre, ce qui l’a étourdi, ce qui l’a fait fondre – l’amour ; ce qu’est le cœur de Simon Limbres, ce qu’il a filtré, enregistré, archivé, boite noire d’un corps de vingt ans, personne ne le sait au juste. »
Editions Gallimard, coll. Verticales, 2014 – 281 p.