Les Onze - Pierre Michon
Rentrée littéraire 2009

François-Elie Corentin naît en 1730 sur les bords de la Loire. Il est le fruit d’un curieux et improbable mélange : un grand-père limousin ingénieur du roi et un grand-père illettré enrichi dans le commerce du vin, une grand-mère fille de petite noblesse de province et un père apprenti écrivain. En lui se retrouvent donc à la fois la plèbe et l’aristocratie, le terroir et l’héritage des Lumières. Il est un pont jeté entre l’Ancien Régime et un monde nouveau à venir. Il se fait nom de peintre en décorant les plafonds des demeures royales, avant de devenir la « petite main » de David, peintre révolutionnaire. Mais c’est un homme vieillissant qui se voit convoquer un soir d’hiver pour réaliser une commande, un tableau hautement politique, le portrait des onze membres du Comité de Salut Public qui ont instauré le régime de la Terreur. Tyrans ou patriotes ?
C’est un roman très court et très dense. Très érudit, aussi. Presque trop érudit : il m’a fallu relire deux fois le premier chapitre pour comprendre où se situait l’histoire et où l’auteur voulait en venir. Mais c’est un roman passionnant écrit dans une langue magnifique, ciselée, visuelle et précise. Ce roman réaffirme le triomphe de l’art sur l’action et le pouvoir. Les Onze étaient tous des écrivains, ils ont tous préféré le pouvoir à l’écriture, et qu’en reste-t-il ? Quelques lignes dans les livres d’histoire. Le tableau reste .
Sauf que le tableau n’existe que dans le roman. Pierre Michon a mélangé réalité et fiction, Histoire et imaginaire pour nous raconter une histoire que j’ai trouvé brillantissime.
Extrait
« Je vous prie, Monsieur, d'arrêter votre attention sur ceci : que savoir le latin quand on est Monseigneur le Dauphin de la Maison de France et le fils de Corentin la Marche, ne sont pas une seule et même chose ; ce sont même deux choses diamétralement opposées : car quand l'un, le dauphin, lit à chaque page, à chaque désinence, à chaque hémistiche, une glorieuse ratification de ce qui est et doit être, dont il fait lui-même partie, et que levant les yeux par ailleurs entre deux hémistiches, il voit par la fenêtre des Tuileries le grand jet d'eau du grand bassin et derrière le grand bassin sur les chevaux de Marly la Renommée avec sa trompette, l'autre, François Corentin, qui relève la tête vers des futailles et de la terre de cave gorgée de vin, l'autre voit dans ces mêmes désinences, ces mêmes phrases qui coulent toutes seules et trompettent, à la fois le triomphe magistral de ce qui est, et la négation de lui-même, qui n'est pas ; il y voit que ce qui est, même et surtout si ce qui est paraît beau, l'écrase comme du talon on écrase une taupe.»
D'autres avis : Mango (déçue) - Hecate (emballée) - Alain (pointilleux) - Tristan (analytique) - Jostein (concis) - Bartlebooth (sujugué) - Jean-Baptiste (ambivalent) - Yv (séduit)
Editions Verdier, 2009. – 137 p.