Les belles choses que porte le ciel - Dinaw Mengestu
Stéphanos tient une petite épicerie dans un quartier populaire de Washington . Cha que
jeudi soir, il y reçoit ses vieux copains Joseph et Kenneth. Tous trois viennent d’Afrique, tous trois ont fui la misère et la guerre, avec l’espoir d’une vie meilleure en Amérique. Mais les rêves ont fait long feu. Si Kenneth a réussi à devenir ingénieur, Joseph est toujours serveur de restaurant et Stéphanos vivote dans son épicerie minable.
« Il y a ceux qui ceux qui se réveillent chaque matin prêts à conquérir la journée, et puis il y a ceux d’entre nous qui ne se réveillent que parce qu’ils y sont forcés. Nous vivons dans l’ombre, dans les quartiers. Nous possédons de petits magasins, vivons dans des appartements délabrés qui n’ont pas assez de lumière et nous arpentons les mêmes rues jour après jour. Nous passons nos après-midi à regarder sans but par nos fenêtres. Des somnambules, voilà ce que nous sommes tous. »
A défaut d’inventer l’avenir, les trois copains ressassent le passé et évoquent l’Afrique à longueur de soirée. Jusqu’au jour où Judith, une universitaire blanche, s’installe dans la maison voisine avec sa petite fille métisse, Naomi. Des liens d’amitié se tissent. Naomi partage avec Stéphanos la passion de la lecture et passe des heures dans l’épicerie à l’écouter lire Dostoievski. Stéphanos, lui est discrètement amoureux de Judith et se prend à rêver d’une vie de famille. Mais les choses ne sont pas si faciles, même en Amérique.
Ce roman évoque avec beaucoup de pudeur et de sensibilité la difficulté de l’immigration et les limites de l’intégration. Il a Washington pour décor, mais pourrait tout aussi bien prendre place dans n’importe quelle capitale européenne. Stéphanos et ses amis sont prisonniers malgré eux d’un passé douloureux et vivent dans un pays qui ne veut pas vraiment d’eux. Ils se traînent dans un no man’s land, entre passé et futur, entre Afrique et Amérique. Judith, sans le vouloir, va tendre à Stéphanos un miroir très cruel sur la réalité de sa vie.
« Abandonné derrière le comptoir, j’étais accablé par la prise de conscience soudaine, terrible et effrayante que tout ce qui m’avait importé ou que j’avais aimé était perdu, ou bien vivait sans moi à des milliers de kilomètres, que ce que j’avais ici n’était pas une vie, mais une malheureuse construction de substitution composée d’un oncle, de deux amis, d’une boutique sinistre et d’un pauvre appartement. »
Un roman lucide et cruel, que j’ai vraiment beaucoup aimé, pour la personnalité attachante de Stéphanos, son amour de la littérature et sa sereine résignation.
Traduit de l’anglais par Anne Wicke.
Le Livre de poche, 2010. – 282 p.