Le coeur cousu - Carole Martinez

Au moment de sa puberté et pendant la Semaine Sainte, Frasquita se voit confier par sa mère des secrets, des recettes, d’étranges incantations, supposées guérir toutes les misères de la vie (et au-delà). Elle se voit remettre aussi un coffret à n’ouvrir que neuf mois plus tard. Le moment venu, elle y découvre un nécessaire à couture. Frasquita va devenir une brodeuse aux doigts de fées, ce qui lui vaudra rapidement une réputation de sorcière. Il y aura d’abord un petit cœur brodé, don à la Vierge Marie, puis un éventail mystérieusement envolé.
« Mais il ne s’agissait plus d’étoffe, l’aiguille fouillait plus loin. La pointe chatouille le petit garçon endormi, elle retrouva son ombre cachée au pied d’un olivier et les ligota solidement l’un à l’autre. Frasquita mit bord à bord désir et volonté et recousit le tout. Puis elle fit un nœud au bout du fil et coupa d’un coup de dent ce pont qu’ele avait jeté entre elle et l’homme qui la regardait. »
Mais le village ne pardonnera jamais à Frasquita sa trop merveilleuse robe de noces. Mariée à un homme taciturne, elle renonce à la couture pour pondre des enfants, qui tous sont entourés d’un halo de mystère : Anita la muette et Angela la chanteuse, Clara la lumineuse et Martirio qui communique avec l’autre monde, et Pedro aux cheveux rouges… Tout tournera vraiment mal quand son mari va se prendre de passion pour les combats de coqs. Après avoir tout perdu, il joue sa femme… Humiliée, Frasquita n’a pas d’autre choix que de partir…
« Seule face au village qui, la guettant replié derrière ses façades froides, grondait dans ses orbites de pierres cernées d’ombre et vides de prunelles, de couleur, d’iris, vides de toute fleur. »
Carole Martinez mêle avec bonheur et subtilité le conte au roman populaire, à la manière des écrivains latino-américains. Nous sommes dans un petit village espagnol d’un autre siècle. La vie y est régie par des rite, des traditions et des interdits. Le curé dans son église, le charron dans son atelier, le seigneur dans son château et les commères derrière leurs volets. Malheur à celui qui est différent, à celui qui s’écarte du chemin tracé, malheur à celui qui attire la lumière :
« L’équilibre du monde était faussé. La laideur vibrait tout autour d’elle, le village était triste et nu, la colline grise, pas une couleur ne jouait sur les joues des femmes, pas un blanc d’œil ne brillait, le soleil ne s’arrêtait que sur elle. »
Un roman sombre et lumineux, très poétique, qui mêle réalisme et merveilleux, l’histoire d’une femme qu’un talent exceptionnel condamne à le fuite et au malheur.
Déjà lu par (presque tout le monde !) : Sylvie - Hélène - Lilly - Bellesahi - Lilliba - Chiffonnette - Leiloona et bien d'autres...
Folio, 2009. – 443 p.