La méthode Schopenhauer - Irvin D. Yalom
N'en déplaise au Matricule des anges, je n'aurais sans doute jamais eu l'idée de lire Schopenhauer, le plus pessimiste des philosophes, mais Irvin Yalom est capable de me faire avaler n'importe quoi. Je note d'ailleurs qu'en édition de poche, ce roman a perdu la moitié de son titre original : Apprendre à mourir, la méthode Schopenhauer. Pour ne pas faire fuir le lecteur, en abordant ce tabou majeur qu'est la mort ? C'est pourtant bien de cela dont il est question dans ce roman : apprendre à mourir, et de son corollaire : apprendre à vivre.
Julius Hertzfeld est un psychiatre réputé de San Francisco. Depuis la mort de sa femme, il consacre son temps et son énergie à son métier et à ses patients. Il apprend soudain qu'il souffre d'un mélanome et qu'il a tout au plus un an à vivre. Après une brève période de désespoir, Julius décide de poursuivre ce qui donne du sens à sa vie : son métier. Et il s'interroge sur son utilité, l'aide qu'il a pu apporter à ses patients. Lui revient alors en mémoire son échec le plus cuisant : Philip Slate, un jeune chimiste arrogant et prétentieux que trois ans de thérapie n'avaient pu guérir de son addiction au sexe. Julius décide de le retrouver pour savoir ce qu'il est devenu, vingt ans plus tard. Stupeur : non seulement Philip est devenu psychothérapeute mais il prétend avoir guéri de son obsession grâce à la lecture assidue de Schopenhauer. Les deux hommes vont alors faire une sorte de marché : Philip participera aux séances de thérapie de groupe de Julius et celui-ci apprendra tout ce qu'il y a à savoir sur les théories de Schopenhauer.
Ce que j'aime chez Irvin Yalom c'est qu'à partir d'un même thème (la psychothérapie), il écrit des livres chaque fois différents. Dans celui-ci, qui alterne des chapitres consacrés à la vie et l'oeuvre de Schopenhauer, et des chapitres consacrés aux séances de thérapie de groupe, il mêle avec finesse et simplicité la pédagogie au roman, traçant une filiation de la philosophie à la psychologie, de Schopenhauer à la thérapie moderne en passant par l'incontournable Freud. On apprend ainsi qu'Arthur Schopenhauer était un génie convaincu de son génie, qui anticipa nombre des découvertes de Freud, notamment sur l'inconscient, le refoulement et l'importance de la sexualité dans la vie humaine. Mais il était aussi un grand névrosé qui n'eut pas une vie très heureuse. Elevé sans amour par des parents très égoïstes, il fut très vite livré à lui-même. Coupé de toute vie sociale, il consacra toute sa vie à son oeuvre, qui ne fut quasiment pas lue de son vivant. Il professe que pour vivre heureux, il faut se couper de tout désir...
Son double romanesque est bien sûr Philip, qui a réussi à guérir de son obsession pour le sexe en se tenant à l'écart de toute vie sociale. Son arrivée dans le groupe de Julius va être perturbante pour tout le monde. Il est arrogant, distant et cite Schopenhauer à tout bout de champs. On se rend vite compte qu'il n'exprime jamais ce qu'il ressent, ni ce qu'il désire. Les autres participants sont des gens comme vous et moi (ou presque...) qui suivent une thérapie pour résoudre les difficultés de la vie : problèmes de couple, d'image, d'addictions. Irvin Yalom, lui-même spécialiste des thérapies de groupe, a su créer des personnages et des dialogues tout à fait crédibles et c'est passionnant de suivre le travail du groupe, et les interférences, les jeux qui se jouent entre ses membres. La confrontation avec les autres permet à chacun d'évoluer. Julius accepte sa mort prochaine et d'une certaine manière transmet le témoin à Philip qui va enfin s'humaniser et vivre une vie plus pleine et plus riche.
" La fleur répondit : "Malheureux ! Crois-tu que je m'ouvre à seule fin d'être vue ? Je m'ouvre pour moi, parce que cela me plaît, et non pour les autres. Exister et m'ouvrir : voilà ma joie."
Et je trouve que Irvin Yalom a réussi un véritable exploit en transformant en roman des histoires de névrosés et en me donnant furieusement envie de lire Schopenhauer !
Une interview de l'auteur.
Les billets de Sylvie - Aifelle - Sybilline .
Traduit de l'américain par Clément Baude.
Points, 2008. 478 p.