Paris en toutes lettres / Episode 3
Troisième journée de Paris en toutes lettres sous un ciel bas et lourd... J'explore aujourd'hui un nouveau lieu , sans pour autant changer de quartier : le Point Ephémère, au bord du canal, mais côté 10e arrondissement, cette fois-ci. Je suis en avance et comme je bois un café au bord de l'eau, qui vois-je déambuler sur le quai, téléphone portable collé à l'oreille ? Jérôme Ferrari.
Dans une toute petite salle (déco sommaire et vue sur le canal) et devant un public très clairsemé, Lecture de Nous autres de Stéphane Audéguy par Michel Vuillermoz (de la Comédie Française). Le dernier roman de l'auteur de la Théorie des nuages se déroule au Kenya, pays qui s'est construit autour d'une ligne de chemin de fer, et raconte l'histoire de Pierre venu enterrer un père inconnu dans un pays où l'on n'enterre personne. Stéphane Audéguy aime toujours autant les situations absurdes. Michel Vuillermoz lit le texte autant avec sa voix qu'avec son corps, et je mesure la différence entre un lecteur professionnel et un lecteur amateur. Il y a dans ce texte riche en digressions de toutes sortes, une étonnante parenté avec celui que j'ai entendu hier : il y encore beaucoup question de la mort.
Après la lecture, Stéphane Audéguy répond à quelques questions. Extraits :
- Les histoires, il n'y a qu'à se baisser pour en ramasser
- La littérature sert à construire un tombeau, pour garder la mémoire des choses
- Le "nous" existe avant le "je", la culture c'est "nous", l'autobiographie et l'autofiction ne m'intéressent pas du tout.
Un auteur, qui est en plus d'être un grand écrivain, se révèle un être humain plein de profondeur.
Dans la même salle, mais cette fois remplie à craquer par un public relativement jeune, Lectures croisées de Claro et Mathias Enard. Je suis surtout là pour Claro, dont j'ai envie de faire la connaissance et dont on dit que c'est un personnage et le plus grand traducteur de littérature américaine. Claro nous promet "un duel, a battle". Le principe ? Claro lit un texte de Mathias Enard, qui lit un texte de Claro, les textes se répondant les uns aux autres. Et les deux compères nous offrent un feu d'artifice de... littérature érotique. C'est très cru, mais sensuel, drôle, poétique, d'une grande richesse linguistique et parfaitement jouissif. Les deux auteurs y prennent visiblement un grand plaisir et captent complètement leur public. Un grand moment, complètement inattendu ! Car, comme le conclut Claro : "Je vous rappelle que le thème était Paris." Eclat de rire général.
Et je retraverse le 19e arrondissement pour retrouver le 104, où je compte entendre une Lecture musicale de Monsieur Hiblot d'Eric Reinhardt. L'écrivain est accompagné par Bertrand Belin, jeune musicien qui m'est parfaitement inconnu et qui fait des trucs vraiment bizarres avec sa guitare électrique... Eric Reinhardt lit un texte1 qui évoque son enfance à Clichy-sous-bois, petite ville de banlieue. Il y passa quatre années qui furent très marquantes pour sa vie future, parce qu'il eut ensuite le sentiment d'y avoir découvert pour la première fois nombre de sensations qui le construisirent. Ensuite, Clichy-sous-bois devint pour lui le pays perdu de l'enfance, une collection de souvenirs très personnels et inpartageables... Jusqu'au jour où Clichy-sous-bois fit la une des journeaux en devenant la ville d'où partirent en novembre 2005 les émeutes de la banlieue. Eric Reinhardt eut alors l'occasion de remettre ses pas dans les lieux de son enfance. J'ai beaucoup aimé cette lecture, d'une voix à la fois monotone et très proche, qui colle parfaitement à la nostalgie du texte. Pendant une heure, j'ai été ce gamin de dix ans, qui joue aux billes au pied d'une tour de banlieue. Puis Eric Reinhardt à demandé à Bertrand Belin de nous chanter deux de ses chansons et là j'ai été complètement bluffée par une voie profonde et rauque, un texte mélancolique de toute beaté, et une musique très nerveuse. Je me suis promis d'acheter son album à la première occasion.
Retour au Point Ephémère, dans la salle de concert, cette fois-ci, pour un Concert littéraire de Babx, encore un artiste qui m'est inconnu. A la demande d'Olivier Chaudenson, directeur artistique du festival, Babx a mis en musique ses poèmes préférés. Pendant les trois premières minutes, je suis un peu inquiète parce que cette musique me parait un peu... électrique ! Une impression qui s'efface très vite, grâce à une interprétation hyper vitaminée du Bal des pendus d'Arthur Rimbaud. Suivent Jean Genêt, Jack Kerouac, Charles Baudelaire et quelques autres. Voilà un jeune homme (je l'ai trouvé vraiment très jeune) qui a de bien belles lectures. Et j'adore sa musique, son humour et son énergie. Encore un disque à acquérir...
Et j'ai eu assez d'émotions pour aujourd'hui !
(à suivre...)
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1 Ce texte a été publié dans le recueil Des nouvelles de la banlieue, réalisé à l'initiative du maire de Clichy-sous-bois.