Paris en toutes lettres / Episode 4

J'entame mon parcours par le théâtre des Bouffes du Nord, qui offre une Carte blanche à Fabrice Lucchini. Je prévois d'y arriver très en avance, mais pas assez en avance : 200 m de queue quand j'arrive à la porte ! Mais je parviens à entrer et je me retrouve au premier rang du second balcon, avec une vue plongeante sur cete petite salle qui exhibe ses décrépitudes comme un bijou. La salle est pleine à craquer, des gens assis dans tous les coins. Fabrice Lucchini entre presque par surprise par une petite porte : pull gris et paquet de livres sous le bras, il s'assied sur une chaise de bois toute banale et nous avertit tout de suite qu'il sera peu question de Paris dans ses lectures, parce qu'il a plutôt choisi des textes "qui l'habitent" (et on verra que le terme n'est pas trop fort !) Il commence par Baudelaire, avec un long poème très sombre et très beau (dont je n'arrive pas à retrouver le titre...) puis il part dans l'une de ces improvisations dont il a le secret, revient à Baudelaire, lance une pique aux "bobos de Delanoë qui consomment du culturel et lisent Télérama", se lance dans une imitation de Fanny Ardant jouant du Duras. Impossible de savoir si ce type est génial ou fou, mais la salle croule de rire. "Ca vous fait rire ? Je vais vous lire du Thomas Bernhardt, ça va vous couper l'envie de rigoler !" Et nous voilà partis pour une lecture de Trois jours, texte autobiographique de l'écrivain autrichien. Et franchement, qui d'autre que Fabrice Lucchini a le pouvoir de tenir scotchée une salle archicomble avec vingt minutes de Thomas Bernhardt, qui ne passe pas pour un gai luron ? Et quand je dis "scotchée", je veux dire qu'il n'y eut pas un battement de cil, pas un mouvement, à peine quelques sourires, pendant toute la durée de cette lecture qui s'est révélée tout à fait réjouissante (voilà que j'ai envie de lire Thomas Bernhardt, c'est pour vous dire !) Encore une séance d'improvisation qui part dans tous les sens, puis il y eut du Céline : "Accrochez-vous ! C'est pas du Vincent Delerm !" C'est peu de dire que Lucchini est habité par ces auteurs : Lucchini est le texte, il ne lit pas, il connait tout par coeur ! C'est un phénomène. Difficile de redescendre sur terre après un tel moment...

Dehors, je trouve la pluie et je m'engouffre dans le Magic Mirror, pour une Rencontre avec Daniel Pennac : exercice beaucoup plus classique. Un auteur, un journaliste, une interview. Daniel Pennac raconte son quartier de Belleville, décor de la saga des Malaussène. J'aime beaucoup ce qui'il en dit et qui pourrait s'appliquer à mon coin du 19e : c'est un village, un quartier où il y a encore de la vie et où on n'a pas besoin de faire trois kilomètres pour trouver une boulangerie, un quartier à la population mélangée qui souffre d'une mauvaise réputation très injustifiée. Il évoque aussi ces auteurs de polars américains qui l'ont inspiré et qu'il qualifie d'auteurs "métaphorants" : Raymond Chandler, Chester Hynes et Jerome Charyn. Daniel Pennac est un raconteur d'histoires, qui a tout un tas d'anecdotes dans sa besace et qui est très agréable à écouter.
Pendant ce temps, l'orage a éclaté et il tombe des cordes. Et où se réfugier quand il pleut sinon dans une librairie ? Et il y en a justement une a deux pas, la librairie du MK2 dont j'aime le sympathique fouillis. Je n'y trouve pas LE livre dont j'ai envie là, tout de suite, alors je me console avec Darling Jim de Christian Mork.
Et il est déjà temps de retourner au Magic Mirror pour une Lecture de D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrière. C'est Anne qui m'a donné envie de découvrir ce livre. Mais j'ai très vite trouvé insupportable ce style précis et détaillé. Quant à l'histoire, compilation de moments tragiques, elle ne m'a absolument pas touchée tant elle m'a parue convenue et artificielle. En fait, je me suis sérieusement ennuyée... Et je n'étais pas la seule car la salle s'est à moitié vidée. Je suis restée jusqu'à la fin, parce que je reste toujours jusqu'à la fin, et que j'ai été très touchée par la jeune lectrice (Hélène Fillières) qui était bouleversée par ce texte à tel point qu'elle a du s'arrêter à plusieurs reprises, la voix brisée par l'émotion... Ai-je donc un coeur si endurci ?

Et voilà comment s'achève pour moi cette première édition du festival parisien. La fin officielle a lieu demain mais d'autres obligations m'appellent... Ce que je retiens de ces quatre journées ? J'ai beaucoup aimé cette littérature dans la ville, j'ai beaucoup aimé le mélange des genres (comédiens, auteurs, musiciens), j'ai beaucoup aimé la simplicité et la convivialité de tous ces échanges, j'ai juste regretté l'absence de vraies rencontres avec les auteurs. Et j'ai beaucoup apprécié que beaucoup d'évènements aient lieu dans mon quartier, dans ce 19e arrondissement où il fait bon vivre, quoiqu'on en dise.