Asiles de fous - Régis Jauffret
Ce roman n’était pas du tout au programme de mes lectures. Mais vous savez ce que c’est : on entre dans une librairie, avec une petite liste de courses urgentes et un budget à ne dépasser sous aucun prétexte et au bout de deux minutes on a oublié la liste et le budget pour se livrer corps et âme à toutes les turpitudes de la compulsion lecturomaniaque. Bref, deux choses m’ont attirée dans ce livre : le titre qui évoque la folie, un thème qui m’interpelle tout particulièrement, et le nom de l’auteur, dont je n’avais encore rien lu sauf une longue interview dans Télérama, il y a quelques mois, qui m’avait beaucoup plu. Je me souviens qu’à l’époque je m’étais dit : « Un écrivain qui parle comme ça de la littérature ne peut pas faire de la mauvaise littérature. » Donc pour ces deux raisons, j’ai saisi ce livre et j’ai commencé à lire la première page. Et piégée je fus.
Et pourtant, même si ce roman m’a tenu en haleine pendant plusieurs heures, je ne sais trop quoi en dire, tant il me semble appartenir à un genre qui n’entre dans aucune catégorie. Il y est question d’une rupture amoureuse. Mais le vrai sujet n’est ni l’amour, ni la séparation, ni le couple. L’auteur décortique avec humour et cynisme tout ce que cette situation qui bouleverse une vie de famille met à jour de frustrations accumulées, de petites rancoeurs et de grosses mesquineries. Tour à tour nous entendons une femme abandonnée, complètement hystérique, son beau-père, homme faible et lâche, chargé de lui annoncer la rupture, puis la belle-mère, mère abusive et possessive, et enfin le responsable de ce gâchis, un goujat veule et insensible. Apparaît alors au grand jour tout ce que chacun a un jour pensé de cette relation, de cette femme, toutes ces réflexions que l’on garde en général pour soi, et qui ne se révèlent que dans les moments dévastateurs.
« Vous avez du trouver cette famille étrange, mais plus encore que les histoires d’amour, toutes les familles sont des asiles de fous. »
Au début, on rit de bon cœur (quoi de plus drôle que les névroses des autres ?), puis on rit de plus en plus jaune, et on se sent de plus en mal à l’aise. Et on a beau se dire que tout ça c’est du second degré, on n’en est pas si sûr, au fond, parce qu’on se reconnaît quelque part dans les délires de ces personnages, leurs petits égoïsmes et leurs grands dégoûts, leur hypocrisie dévoilée et leur méchanceté affichée. Alors on trouve que tout ça est décidément bien glauque.
Donc, voilà : si vous voulez voir ce qu’il y a de plus noir en vous, jetez vous sur ce livre, sinon, passez votre chemin. Mais vous manquerez peut-être quelque chose, parce que c’est follement bien écrit.
La critique de Laurence
Gallimard, 2005. - 253 p.
Prix Fémina 2005.