La vérité sur Marie - Jean-Philippe Toussaint
"Je regardais Marie, et je voyais bien que je n'étais plus là, que ce n'était plus moi maintenant qui étais avec elle, c'était l'image de mon absence que la présence de cet homme révélait. J'avais sous les yeux une image saisissante de mon absence. C'était comme si je prenais soudain conscience visuellement que, depuis quelques jours, j'avais disparu de la vie de Marie, et que je me rendais compte qu'elle continuait à vivre quand je n'étais pas là, qu'elle vivait en mon absence - et d'autant plus intensément sans doute que je pensais à elle sans arrêt. "
Voici le troisième volet de l'histoire de la séparation entre Marie et son amant, le narrateur très transparent d'une histoire dont l'auteur n'en finit plus d'explorer tous les coins et recoins cachés. Six mois après leur séparation, nous les retrouvons à Paris par un soir d'été étouffant et orageux qui ne présage rien de bon. Ils ne vivent plus ensemble, sont engagés dans d'autres amours, mais un évènement douloureux va les rapprocher, ravivant la blessure de l'absence et de l'amour impossible.
"Je l'aimais, oui. Il est peut-être très imprécis de dire que je l'aimais, mais rien ne pourrait être plus précis."
Ces deux-là s'aiment mais ne se supportent plus. Puis le narrateur nous transporte à Tokyo où Marie a rencontré un autre homme, une rencontre qui le rend jaloux, dont il ne sait rien, mais qu'il imagine, qu'il fantasme. Il nous y fait assister à l’incroyable, magnifique et désespérée course d’un cheval qui tente de fuir sur le tarmac de l'aéroport et sous une pluie battante, mais finit par se faire emprisonner dans un avion en pleine tempête, à l'image de ce narrateur prisonnier de son attirance pour ce tourbillon vivant qu'est Marie, un narrateur qui souffre tout en se moquant toujours de lui-même.
"Il ne faisait rien, il souffrait, une souffrance vague, légère, écoeurante, et pas même une souffrance, une simple nausée, plane, immobile, illimitée. Rien n'advenait. Rien, la persistance du réel."
Un roman de Jean-Philippe Toussaint, c'est plus le plaisir du texte que le plaisir de l'histoire. Jean-Philippe Toussaint est moins un romancier qu'un musicien, un cinéaste et un peintre qui fait naître chez le lecteur un tourbillon d'images et de sensations. Et dans La vérité sur Marie, il nous offre une symphonie en trois mouvements et en trois lieux. Trois mouvements marqués par la fureur des éléments : orage, pluie, vent et feu. Parce que la furie des éléments c'est Marie, fantasque, exubérante, déconcertante, envahissante, énervante, émouvante.
"Marie, et son goût épuisant pour les fenêtres ouvertes, pour les tiroirs ouverts, pour les valises ouvertes, son goût pour le désordre, pour le bazar, pour le chaos, le bordel noir, les tourbillons, l'air mobile et les rafales."
Cette symphonie se déroule dans les trois lieux emblématiques de ce couple: Paris et l'amour, Tokyo et le désamour, l'île d'Elbe, une île en forme de no man's land : ce qui reste de l'amour après l'amour. Et des motifs reviennent de l'un à l'autre des épisodes de cette tétralogie : le sexe, la fuite, la mort. Peut-être que toute cette histoire n'est rien d'autre qu'une allégorie de l'amour, exigeant et difficile comme Marie, l'amour que l'on ne peut transcender que par l'écriture en le transformant en une histoire en forme de puzzle.
"Il m'apparut alors que je pourrais peut-être atteindre une vérité nouvelle, qui s'inspirerait de ce qui avait été la vie et la transcenderait, sans se soucier de vraisemblance ou de véracité, et ne viserait qu'à la quintessence du réel, sa moelle sensible, vivante et sensuelle, une vérité proche de l'invention, ou jumelle du mensonge, la vérité idéale."
Un livre de Jean-Philippe Toussaint, c'est de la beauté pure, c'est une musique qui emporte le lecteur complètement hors de lui-même. Et c'est un intense bonheur de lecture.
Editions de Minuit, 2009 (Minuit poche, 2013). - 219 p.