Les derniers jours de Stefan Zweig - Laurent Seksik
« Jamais la vue n’est plus étincelante et libre
Qu’à la lumière du couchant,
Jamais on n’aime plus sincèrement la vie
Qu’à l’ombre du renoncement.»
Le 22 février 1942, après huit ans d'exil et d'errances, Stefan Zweig met fin à ses jours, en compagnie de Lotte, sa deuxième épouse. Ce geste m'a toujours paru incompréhensible : pourquoi cet homme brillant et adulé, fait-il un choix aussi définitif, alors qu'il est parvenu à échapper aux persécutions nazies et qu'il vit à plus de dix mille kilomètres du chaos de la guerre ? C'est pour trouver une réponse à cette question que Laurent Seksik a entrepris l'examen des six derniers mois de la vie de l'écrivain, dans une biographie en forme de roman.
Dans les années trente, Zweig est considéré comme l'un des plus grands écrivains européens. Il ne vit que par et pour la littérature : les livres qu'il lit et ceux qu'il écrit. Il entretient un réseau d'amitiés et de correspondances avec les plus grands intellectuels de son temps.
« Ce que j’aime chez toi, expliquait Feder, c’est ton côté freudien. Oui, freudien. Tu ne racontes pas une histoire. Tu utilises un narrateur pour relater un récit, et ce narrateur s’entretient avec un tiers qui écoute sa confession. Tu as porté à son plus haut niveau la technique du récit enchâssé. Tu as inventé le style romanesque psychanalytique. »
Mais en 1933, Hitler arrive au pouvoir et Zweig comprend aussitôt le danger que représente le régime nazi. Les évènements lui donnent assez vite raison : les nazis le cataloguent comme "écrivain juif" et ses livres sont brûlés en place publique. En 1934, il décide, contre l'avis de sa (première) femme et de la plupart de ses amis, de quitter définitivement l'Autriche pour s'installer à Londres. Mais après la déclaration de guerre, les anglais le considèrent comme un "alien ennemy". Ulcéré, Zweig quitte l'Angleterre pour les Etats-Unis, et finalement le Brésil.
A travers ce récit, c'est un Zweig intime que nous dévoile Laurent Seksik : un grand séducteur (et on pense à Lettre d'une inconnue), qui finit par épouser une femme malade (et on pense à La Pitié dangereuse). Mais Stefan Zweig est avant tout un grand humaniste, qui refuse de prendre parti et de se vendre à une idéologie. Intellectuel éclairé, il hait toute forme de nationalisme, quel qu'il soit : nazisme ou sionisme. On lui reprochera beaucoup sa tiédeur, souvent qualifiée de lâcheté.
Et ce qui le ronge, pendant toutes ces années d'exil, c'est la nostalgie. Viennois avant tout, Zweig vit dans le regret de la Vienne des années trente, creuset intellectuel de l'Europe, capitale de cette Mittel Europa qu'il a vénérée. Stefan Zweig est un homme triste, déprimé, pessimiste.
« Son œuvre allumait une succession d’incendies dans les cœurs, ses héros se jetaient dans les flammes – tandis que lui brûlait de l’intérieur. »
Le Zweig qui vit à Pétropolis est un homme désespéré, persuadé que le nazisme va conquérir le monde. On ne s'étonne pas que sa dernière oeuvre soit Le joueur d'échecs, qui apparait comme prémonitoire : Zweig lui aussi a été vaincu par la barbarie nazie.
Flammarion, 2010. – 188 p.