Mémoires vives - Edward Snowden

Publié le par Papillon

"J’ai moi-même pris l’engagement de me mettre à la disposition non pas d’une agence ni même d’un gouvernement, mais de l’intérêt commun, afin de défendre notre Constitution, celle qui protège nos libertés civiques et que l’on piétine sans vergogne."
 
Je pense que plus personne au monde n'ignore qui est Edward Snowden, ce jeune informaticien qui a fait la une de la presse en 2013 pour avoir révélé au monde que l'une des agences de renseignement américaine avait lancé un projet de surveillance globale en enregistrant l'ensemble des échanges numériques. On peut considérer Snowden comme un traître ou un héros, selon la perspective que l'on adopte. C'est peut-être pour cette raison qu'il a décidé de publier ses mémoires, pour expliquer qui il est, ce qu'il a fait, pourquoi il l'a fait et comment il l'a fait. Et pour comprendre Snowden, il faut savoir qu'il y eut longtemps deux piliers dans sa vie : Internet et l’État, et que les deux l'ont trahi.
 
Enfant de la middle class américaine, Snowden revendique une filiation directe avec les premiers immigrants américains, tant du côté de sa mère que de son père, tous deux au service de l’État, comme une bonne partie de leurs ancêtres. C'est un homme qui semble avoir la Constitution américaine chevillée au corps. Par ailleurs, il est aussi un pur produit le l'ère numérique : il est né avec le micro-ordinateur et a grandi avec Internet. Il raconte comment pendant son adolescence, l'ordi familial était son meilleur ami, et Internet son terrain de jeu favori, lui qui n'aimait guère le collège. Il a tout appris sur Internet, via des forums et des sites spécialisés. C'était le bon vieux temps de l'Internet libre, ouvert, créatif et convivial où tout le monde parlait avec tout le monde.
 
Les attentats du 11-Septembre vont marquer un tournant pour lui et pour son pays. Il a dix-huit ans et ressent une grande ferveur nationaliste, qui le pousse tout naturellement à se mettre lui aussi au service de l’État, dans l'armée d'abord, puis en postulant dans une agence de renseignement, un secteur où il aura l'impression d'être utile à son pays, et où les besoins en informaticiens sont énormes. Car le 11/9 a marqué un tournant aussi pour les agences de renseignement américaines, humiliées de n'avoir pas su prévenir la catastrophe. Elles  ont donc entrepris de revoir complètement leur processus de surveillance et de l'adapter au monde numérique. Pour ça, elles ont besoin de jeunes cracks de l'informatique, et les engagent en masse. Snowden sera l'un d'eux.
 
Voilà comment il se retrouve assez vite ingénieur système à la NSA, c'est-à-dire celui qui organise et gère le système informatique de l'organisation et en connaît donc toutes les arcanes, d'autant qu'il possède une habilitation secret-défense. Il est en poste à Tokyo quand il découvre presque par hasard que la NSA a conçu un plan de surveillance de masse. Dorénavant on ne surveille plus seulement des individus ciblés, mais tout le monde, partout, tout le temps. Et il explique comment ce qu'il appelle la "communauté du renseignement" agit comme un état dans l'état, dans le mépris de la loi et avec un sentiment de totale impunité : au nom de la lutte contre le terrorisme, on bafoue les droits des citoyens.
 
Cette découverte va sonner comme une double trahison : non seulement Internet a été complètement dévoyé de son projet initial et se retrouve aux mains de quelques sociétés qui pillent les données de tous, mais l'état américain par le biais de ses agences de renseignement a trahi la constitution américaine, qui garantit à chaque citoyen le droit à la vie privée. On est entré dans l'ère du "capitalisme de surveillance". Soumis à un dilemme moral entre sa fidélité à la Constitution et son engagement envers l’État, Snowden déclenche des crises d'épilepsie. Son malaise le pousse à devenir lanceur d'alerte : il a le devoir d'informer l'opinion publique. Voilà pourquoi il a exfiltré des documents ultra-secrets de la NSA pour les transmettre à la presse, ce qui lui vaut aujourd'hui de vivre en exil en Russie.
 
J'ai trouvé ce bouquin passionnant, parce qu'il dévoile les coulisses d'un monde que l'on connaît peu. C'est écrit d'une plume limpide et alerte, avec une désarmante franchise non dénuée d'humour, même les détails techniques y sont très clairement expliqués. S'y dévoile un jeune homme sympathique, intelligent et idéaliste qui refuse le cynisme du monde moderne, et veut nous alerter encore et encore, sur les dangers d'une technologie pervertie. Je suis totalement abasourdie par le courage et l'abnégation de ce jeune homme qui a tout abandonné au nom de l'intérêt général. Mais comme il le dit lui-même, ça ne pouvait être que quelqu'un de jeune, pas encore rendu cynique par le système pour lequel il travaillait. Son livre se lit comme un roman d'espionnage, sauf qu'on n'est ni dans la fiction ni dans l'anticipation, on est ici et maintenant, et il nous appartient désormais, à nous citoyens, de défendre nos droits. Car ce que je retiens de l'histoire d'Edward Snowden, c'est que nos démocraties sont bien malades si nous ne pouvons plus compter que sur le courage de quelques lanceurs d'alerte pour dénoncer les failles du système. 
 
Titre original : Permanent records.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Étienne Menanteau et Aurélien Blanchard.
Le Seuil, 2019. 384 p.
 
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A
Son nom est connu de tout le monde, mais c'est vrai que je n'ai jamais creusé qui était vraiment cet homme courageux et presque seul contre tous. Une bonne idée finalement, pour comprendre un peu mieux quel est le monde dans lequel on vit actuellement.
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P
Son histoire est intéressante et tout ce qu'il dit d'internet est à savoir, à mon avis.
M
Un idéaliste certainement, qui marque son époque. C'est cela qui est terrible aujourd'hui, ce que l'on lisait dans les romans d'anticipation se réalise ( en te lisant, j'ai évidemment pensé à 1984 ).
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P
Moi aussi j'ai pensé à 1984 en le lisant !
N
Tu donnes envie... j'avoue que j'ai aussi tendance à admirer ce genre de personnages capables de mettre ses intérêts personnels en veilleuse face à l'intérêt général et à la force de ses convictions.
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P
Et en plus c'est intéressant de découvrir les coulisses d'une histoire qui a fait la une des journaux.
A
Tu me donnes vraiment envie de lire ce livre et pourtant le monde de l'informatique et moi ne sommes pas en meilleurs termes. Voilà un personnage dont la sincérité et le courage forcent l'admiration ! Bonne journée à toi !
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P
Ce n'est pas vraiment un livre sur l'informatique, et ça peut tout à fait se lire comme un roman.