Le sel de la terre - Wim Wenders
Un film qui parle de photos, c'est une drôle d'idée, mais c'est le parti pris du cinéaste Wim Wenders de prendre pour sujet le photographe Sebastiao Salgado.
Il y a une vingtaine d'années, Wim Wenders est séduit par une photographie dans une galerie. Elle est de Sebastiao Salgado et représente l'exploitation d'une mine d'or au Brésil. Wenders ne va plus cesser de s'intéresser au travail de Salgado, jusqu'à l'accompagner au cours d'une expédition photo au Nord de la Sibérie. De là naîtra l'idée de ce film sur la vie et l'œuvre de Salgado.
Né au Brésil dans une ferme du Minas Gerais, Sebastiao Salgado en part en 1969 avec sa femme pour fuir la dictature et s'installer à Paris. Il commence une carrière d'économiste et découvre la photo par hasard. Quand le hobby devient une passion, Salgado quitte son boulot lucratif d'économiste pour parcourir la planète, appareil autour du cou. Tout naturellement, sa première expédition le mène en Amérique du Sud, auprès des populations andines. Et dès ces premiers voyages, Salgado montre une réelle empathie pour tous les humains dont il croise la route, un véritable désir de rencontres. Très vite, son travail va s'orienter vers un besoin de témoigner de la violence du monde. Ses pas vont le mener vers tous les pays où l'humain souffre, soit de faim (Sahel et Ethiopie), soit de la pauvreté (Pérou, Bolivie), soit de la guerre (Yougoslavie, Rwanda). Il parcourt la planète pendant plus de vingt ans.
Le film retrace sa carrière en alternant les commentaires biographiques (dits par Wim Wenders) et les récits autour des photos les plus emblématiques. Salgado en plus d'être un incroyable photographe, est un excellent conteur, qui donne vie par ses souvenirs à tous les gens qu'il a photographiés, quelques-uns dans les circonstances les plus dramatiques. Et ce qui est absolument frappant dans toutes ces photos (toutes en noir et blanc) qui défilent sous nos yeux en grand écran, c'est qu'elles ne sont pas seulement sublimes, mais réalisées sans aucun voyeurisme, sans mise en scène, sans dramatisation. La réalité nue, d'une terrifiante beauté et d'une glaçante horreur. C'est cette esthétisation du drame que certains lui reprochent, comme si la beauté atténuait le drame (alors qu'à mon avis c'est exactement l'inverse, mais je ne suis pas une spécialiste, c'est juste mon ressenti devant ces photos terriblement belles et criantes de vérité).
Cette réalité de drames et de barbarie a fini par épuiser le photographe (après le Rwanda, qui lui apparaît comme le comble de l'horreur). Il retourne au Brésil dans la ferme familiale et, avec sa femme Lélia, entreprend de replanter la forêt tropicale, détruite par des années de sécheresse et de déforestation. Fort de cette réussite, il décide de reprendre son travail photographique pour témoigner des beautés du monde. Le résultat sera l'exposition Genesis, que j'ai eu la chance de voir l'an dernier à la MEP et que j'ai trouvée sublime. Mais ma préférence va quand même aux photos antérieures.
Ce film m'a bouleversée parce qu'on y voit des choses terribles à travers les photos de Salgado et que cet homme m'a fait l'effet d'une très belle personne, entièrement tourné vers l'humain, entièrement préoccupé par le désir de mettre son œil de photographe au service d'une réalité humaine souvent terrible, qui l'a rendu quelque peu pessimiste sur l'humanité. Et pourtant, il rend par ses photos à cette humanité blessée, affamée, souffrante, exilée, sa dignité, sa noblesse, sa beauté. Ce qui fait la beauté des photos de Sebastiao Salgado, ce n'est pas seulement la technique, mais l'amour qu'il porte à son sujet.
Kathel en parle, Aifelle aussi.
Film franco-brésilien (2014) de Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado.