La fortune de sila - Fabrice Humbert
Rentrée littéraire 2010
Dans L’origine de la violence, Fabrice Humbert analysait les rapports de violence entre dominants et dominés dans le contexte très particulier du camp de concentration. Dans son nouveau roman, il s’intéresse à une autre forme de violence plus moderne et plus sournoise.
La scène qui ouvre le roman, et qui est aussi le pivot de l’histoire, se déroule dans un grand restaurant parisien un soir de Juin 1995. Y sont réunis par hasard des convives de diverses nationalités. Soudain un incident éclate, l’un des clients se lève et frappe le serveur, qui s’effondre, le visage en sang. Divers sentiments agitent l’assistance mais personne ne bouge. Le serveur est évacué, le dîner reprend. Un riche vient de frapper un pauvre en toute impunité et dans une indifférence quasi générale. Cette scène emblématique, à la fois dramatique et banale, est une allégorie de ce que Fabrice Humbert tente d’illustrer dans ce roman. Le lecteur découvre alors qui sont les héros de ce drame, dont les destins vont se croiser sans forcément se rencontrer. Pour chacun d’eux, cette soirée va être le premier faux pas vers la chute finale.
Il y a là Simon, jeune et brillant chercheur en mathématiques, mais personnalité timide et introvertie, qui partage son appartement avec Mathieu, son exact contraire : séducteur, hâbleur, menteur et tricheur. C’est sous l’impulsion de Mathieu que Simon décide de lâcher son labo pour se lancer dans l’aventure de la finance dans une banque internationale. A côté d’eux, un couple de nouveaux riches russes. Lui, fut un brillant universitaire qui a épousé sa belle et intelligente étudiante. Au moment où le communisme a commencé à vaciller, il a fait le choix d’abandonner l’université pour la politique, jouant Eltsine contre Gorbatchev et devenant un des puissants du régime russe, un de ceux qui profitèrent de l’éclatement de l’empire soviétique pour se remplir les poches. Il y a aussi une famille américaine. Le père fut longtemps un espoir local de football américain avant qu’une blessure ne mette un terme à une carrière décevante. L’ancien joueur s’est alors lancé dans le crédit immobilier, vendant, grâce à des subprimes, des maisons à ceux qui n’ont pas les moyens d’en acheter. Le point commun de ces hommes ? Ils se sont tous vendus à la finance et sont complètement corrompus par l’argent. Le dernier d’entre eux, le jeune serveur noir, est le plus pur. Il est arrivé d’Afrique et a gravi toutes les marches de l’intégration, avec courage, ténacité et une certaine forme de candeur.
A travers ces hommes, Fabrice Humbert nous fait découvrir le monde de la grande finance et ses règles impitoyables. Car c’est une guerre que se livrent ces gens, une guerre pour le toujours plus, une guerre qui se fait sur le dos des pauvres, mais où certains d’entre eux seront broyés. La plume de Fabrice Humbert est absolument envoutante, par son réalisme, sa précision, et la profondeur de l’analyse psychologique des personnages. Ce texte, à la fois très bien documenté et truffé de références littéraires, vous fait littéralement entrer dans un autre monde, qui est décortiqué avec une minutie quasi clinique.
Un roman brillant et extrêmement cruel.
Le Passage, 2010. – 317 p.