Tristesse et beauté - Yasunari Kawabata
Ce qui me plaît dans la littérature japonaise, c’est qu’elle me pousse à aller contre ma nature. Je suis le genre de fille qui court tout le temps, qui fait trois choses à la fois, qui voudrait pouvoir aller plus vite que la musique, remonter le courant des fleuves, lutter contre les vagues. La culture japonaise est, me semble-t-il, à l’opposé de tout ça : elle incite à la contemplation, à la méditation et au lâcher prise. Ce n’est pas un hasard si la philosophie zen est née au Japon. Donc, pour bien apprécier un roman japonais, il faut accepter de se laisser simplement porter par le courant sans résister. J’en ai eu la preuve, une fois de plus, avec ce beau roman de Kawabata.
Un écrivain célèbre, Oki, se rend à Kyoto le 31 décembre pour y entendre sonner les cloches des monastères qui marquent le passage d’une année à l’autre. Il espère aussi y revoir Otoko, qui fut sa maîtresse vingt ans plus tôt et lui inspira le plus célèbre de ses romans. Otoko est devenue peintre et partage sa vie avec une ravissante jeune femme, Keiko, à qui elle enseigne la peinture. Oki est déçu par sa rencontre avec les deux femmes, qui lui remémore le passé. Quelques jours plus tard, il reçoit la visite de Keiko, qui lui apporte deux de ses tableaux. Il ignore que Keiko a décidé de venger Otoko…
J’ai eu beaucoup mal avec ce roman au début, tout simplement parce que l’histoire avance très lentement, comme souvent dans les romans japonais, et que les personnages sont particulièrement impénétrables. C’est surtout le personnage de Keiko qui me laissait perplexe : je ne comprenais pas pourquoi elle cherche à venger Otoko d’une histoire vieille de vingt ans et qui ne la concerne en rien, ni pourquoi Otoko joue le jeu.
Et, sans m’en rendre compte, je me suis trouvée complètement immergée dans cette histoire baignée de mélancolie et d’érotisme, qui offre une méditation sur la mort, sur la beauté et sur l’amour. L’amour et la beauté sont immortels quand ils sont sublimés par l’art. L’histoire d’amour d’Oki et Otoko est immortelle puisqu’elle devenue un roman, de même que la beauté de la mère d’Otoko est conservée à jamais dans le portrait que sa fille en a fait. C’est un roman qui porte parfaitement son titre, et qui offre, en plus, tout le charme de la culture japonaise, avec l’évocation des traditions et de l’histoire millénaires du Japon.
Kawabata a obtenu le prix Nobel de littérature en 1968, et ce roman est le dernier qu’il a écrit avant de se donner la mort en 1972.
Traduit du japonais par Amina Okada.
Albin Michel, 1981. – 259 p.