La prière d'Audubon - Kôtarô Isaka
"Le monde est plein de choses que l'on aimerait savoir mais qu'on continue à ignorer."
Quand il se réveille ce matin du 1er décembre, Itô se rend tout de suite compte qu'il n'est pas chez lui mais il ne se souvient pas des dernières heures qu'il a vécues. Il se souvient seulement d'une embrouille avec la police, un coup reçu du policier Shiroyama et une fuite. La visite d'Hibino va l'éclairer: il est sur l'île d'Ogishima, au large de Sendai, une île coupée du monde depuis cent cinquante ans. Et sur cette île, tout est décalé, rien ne semble réel, rien ne fonctionne comme on en a l'habitude. Itô y fait un certain nombre de rencontres plus étranges les unes que les autres : un peintre un peu fou qui parle à l'envers, un chat qui prédit le temps qu'il fait, un boiteux qui aime les oiseaux, un homme taciturne qui fait le lien avec le monde extérieur, un exécuteur au joli nom de cerisier (Sakura) et, surtout, un épouvantail qui parle et voit l'avenir.
"La "réalité" pour moi, c'était la sensation concrète que j'avais de me trouver sur cette île, et je commençais à me faire à l'idée que je devais tout simplement suivre cette sensation. Folie et acceptation. Devenir fou et accepter la situation, cela se ressemblait."
Il y a un charme certain dans ce roman en forme de fable, mélange de Murakami et de Lewis Carroll, dont la simplicité (pour ne pas dire la pauvreté) de l'écriture m'a quand même un peu gênée. Il nous transporte dans un lieu onirique et poétique, où toutes les certitudes d'Itô vont basculer les unes après les autres. C'est un voyage initiatique pour ce jeune homme orphelin, en rupture professionnelle, amoureuse et sociétale. De petites parenthèses en forme de flash-back nous permettent de mieux faire connaissance avec lui, tout en ouvrant une perspective un peu angoissante sur le monde réel. Et quand Yogô l'épouvantail est "assassiné" le jeune Itô se transforme en enquêteur et découvre tous les secrets de l'île et de ses habitants, mais aussi une certaine philosophie de la vie.
"Moi, je me méfie des gens qui proclament leur haine du mensonge. Généralement, on est bien plus heureux quand tout se déroule dans un énorme mensonge incluant notre propre existence."
Un roman qui nous fait passer sans arrêt de l'inquiétude à l'émerveillement, et joue sur la frontière floue qui sépare le réel de l'imaginaire.
C'est Kathel qui m'a donné envie.
Traduit du japonais par Corinne Atlan.
Editions Philippe Picquier, 2011 ; Picquier Poche 2014. - 523 p. Epub