L'avalée des avalés - Réjean Ducharme
Pour faire suite à mon article d'hier, je vous ai concocté une semaine spéciale "littérature québécoise". Avec, pour commencer, un grand classique.
Les époux Einberg se détestent et se sont partagés leurs enfants : Christian sera catholique comme sa mère, Bérénice sera juive comme son père. Les enfants sont des enjeux dans la guerre que se mènent les deux parents. L’histoire est racontée à la première personne par Bérénice, adolescente fragile et très intelligente. De son père, Bérénice a reçu la religion, une religion froide et sans âme . De sa mère, Christian a reçu l’amour. Bérénice déteste son père et s’efforce de haïr sa mère, sans vraiment y parvenir. Bérénice n’aime que son frère, d’un amour possessif et violent, tout en étant parfaitement consciente de la part d’illusion qu’il y a dans cet amour-là. La jeune fille est révoltée, violente, ne rêve que de guerres et d’incendies. Elle assassine les uns après les autres les chats de sa mère qu’elle a baptisée « Chat mort », puis « Chamomor ». Face aux bêtises de la jeune fille, et à l’amour immodéré qu’elle porte à son frère, M. Einberg décide de l’exiler à New-York chez un oncle très religieux.
Ce roman est l’histoire d’une névrose : la névrose de Bérénice, racontée par Bérénice. L’auteur a un talent formidable pour parvenir à nous faire entrer de plein pied dans l’âme tourmentée de cette jeune fille. On l’aime tout de suite, Bérénice, et on comprend sa violence, ses peurs, ses désirs. On lui donne raison contre sa famille cassée en deux. Le style de Réjean Ducharme est magnifique, très imagé, très vivant, avec un vocabulaire d’une grande richesse.
Mais après une enfance québécoise dans une abbaye isolée sur une île du Saint-Laurent, Bérénice est exilée à New-York. Elle devint de plus violente, exigeante, énigmatique. Elle cherche l’amour tout en le refusant, entretient une relation un peu abstraite avec son amie Constance Chlore qui meurt tragiquement. La mort poursuit Bérénice et l’histoire commence à tourner un peu en rond. On voudrait voir la jeune fille sortir de ce cercle infernal de destruction, qu’il y ait un déclic (idéologie, amour, religion, culture) qui la tire vers la vie. Mais, malgré toute sa lucidité, toute son intelligence, malgré ce don qu’elle a de manipuler ses parents, elle semble incapable de sortir de son délire de mort. Domine chez Bérénice la révolte contre l’autorité, l’ordre établi, la famille. Les époux Einberg se réconcilient et voilà Bérénice expédiée encore plus loin, en Israël, alors en pleine guerre contre les Arabes. Bérénice se trouve enfin confrontée à la vraie violence. A partir de là, j’avoue ne plus bien avoir compris : elle est entourée de gens étranges, avec lesquels elle entretient des rapports étranges et on se demande où elle va… Le roman se termine brutalement par une scène très violente et peu compréhensible : substitut du meurtre de la mère ? Je suis restée perplexe et frustrée.
En conclusion : un grand auteur, mais un livre difficile.
Folio, 379 p.