Les vestiges du jour - Kazuo Ishiguro

Publié le par Papillon

Il y a quelques semaines, l’une de mes promenades vespérales à travers Paris me conduisit au Centre Culturel Japonais où je cherchai en vain l’un des romans de Kazuo Ishiguro. Cette lacune m’a laissée perplexe jusqu’au jour où j’ai enfin eu l’occasion de lire cet auteur et de découvrir qu’il n’y a chez lui absolument rien de japonais. Il est même difficile de faire plus british que Les vestiges du jour !

Le héros appartient à une espèce en voie de disparition, espèce introuvable ailleurs que sur les îles britanniques : le majordome anglais, butler en version originale. Stevens, lui-même fils de majordome, est majordome dans une grande maison depuis toujours. Il s’apprête à partir en vacances pour quelques jours et son voyage en voiture à travers l’Angleterre sera l’occasion pour lui de réfléchir à sa vie en général et à son métier en particulier. Ce qui fait la grandeur du majordome, c’est sa dignité, ce qui signifie qu’il ne doit jamais perdre son sang-froid, quelques soient les circonstances, et être capable de satisfaire toutes les demandes de ses maîtres, même les plus farfelues.

Stevens s’est tellement identifié à sa fonction qu’il est devenu sa fonction. Il vit derrière un masque perpétuel qui lui interdit d’émettre la moindre idée personnelle et de montrer le moindre sentiment. Toute sa relation avec ses proches est ainsi marquée par une distance impersonnelle, comme le montre sa relation avec l’intendante, Miss Kenton. Le lecteur découvre en effet que Stevens n’a pas choisi la Cornouaille comme but de voyage tout à fait par hasard… Il espère y retrouver Miss Kenton qui a quitté le château depuis vingt ans.

Quel gâchis de penser qu’il faut souvent vingt ans aux hommes pour se rendre compte qu’ils nous aiment ! Voilà un homme qui a une femme à ses pieds, intelligente et spirituelle, mais il est tellement obnubilé par sa fonction et sa carrière, qu’il ne lui prête qu’une attention distraite et la laisse partir avec un autre. Vingt ans après, il comprend enfin que l’intérêt que lui inspirait cette femme était loin de n’être que professionnel. Il sera bien sûr trop tard…

J’ai beaucoup aimé le style élégant et raffiné d’Ishiguro, et son humour pince sans rire. Il sait conduire son lecteur du rire aux larmes avec une grande finesse. Il a créé avec Stevens un personnage complexe, qui parvient à nous toucher profondément même s’il est loin d’être toujours sympathique.


Traduit de l’anglais par Sophie Mayoux.
10/18, 2002. – 266 p.

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L
<br /> <br /> Je suis sortie mitigée de cette lecture. Stevens m'a à la fois énervée et touchée ^^<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Enervée, tiens c'est intéressant ! Pour moi, ce roman est un chef d'oeuvre absolu !<br /> <br /> <br /> <br />
M
Oui, je l'ai lu! Mais c'était ancien, alors merci de m'avoir permis de m'y replonger quelques minutes. ...J'avais beaucoup aimé. Mais dans un autre contexte ( fort intéressant d'ailleurs, sur le plan de l'histoire du Japon et de la description de ces "peintres" japonais), on retrouve le même thème., cher à Ishiguro...<br /> J'avais noté un passage que je retranscris:<br /> " Cependant je dois dire, maintenant que j'ai franchi le pas, que je ne vois pas comment, si on tient au respect de soi, on peut fuir longtemps la responsabilité de ses actions passées; encore que ce ne soit pas toujours chose aisée, cela procure une satisfaction d'amour propre certaine que de se résoudre à voir en face les fautes que l'on a commises au cours de son existence. Il est certain en effet que peu de honte s'attache aux erreurs commises en toute bonne foi-mais beaucoup, au contraire, à l'incapacité ou au refus de les reconnaitre"...........
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P
Merci pour cet extrait. Décidément ce livre me tente beaucoup :-)
M
Bonjour......"Les vestiges du jour" est vraiment un excellent roman, le meilleur d'Ishiguro, ai je trouvé. Ceci étant, on retrouve toujours le même thème dans ses romans: celui du malentendu, du fourvoiement,les personnages passent à côté de choses, individus, évènements,qui auraient changé leur vie,  et ce n'est que trop tard qu'ils en prennent conscience. Cette prise de conscience, ils l'acceptent d'ailleurs, il n'y a pas de révolte chez Ishiguro, il en avait parlé en disant que c'était son côté bien japonais! <br /> J'aime moins Ishiguro quand il dévie dans le fantastique comme dans "L'inconsolé". J'ai lu une cinquantaine de pages de "Auprès de moi toujours". On tombe dans un univers très bizarre, on ne sait pas qui sont ces enfants, où ils sont, etc. Il parait que le sujet est celui du clonage et des prélèvements d'organe? <br /> Pour l'instant, j'ai laissé de côté et reprendrai plus tard. Ce n'est pas une atmosphère qui me convenait après le livre de Benjamin Littell qui me pesait sur l'estomac:):)
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P
Merci Marie, pour tous ces détails. Le prochain qui me tente d'Ishiguro est Un artiste du monde flottant. Est-ce que tu l'as lu aussi ?
C
Donc, si j'aime l'humour anglais j'aimerai Ishiguro... alors je fonce!
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P
Pas que pour son humour, Choupynettte ! Son style est vraiment très bien .
C
je n'ai pas lu le livre mais j'avias trouvé Emma Thompson et Anthony Hopkins formidables dans le film de James Ivory.
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I
Pareil que Cathe. J'avais continué mon exploration d'Ishiguro par "Quand nous étions orphelins" et je n'avais pas accroché du tout. J'ai eu l'impression de lire un remake de "Tintin et le lotus bleu" mal ficelé et assez improbable. En revanche, j'ai assez envie de lire son dernier "Auprès de moi toujours", même si une partie essentielle de la trame dramatique du roman a été largement éventée à force de lire des avis sur ce livre à droite et à gauche. L'avez-vous lu ?
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P
Non, Les vestiges du jour était ma première expérience avec Ishiguro.
S
Moi aussi j'ai adoré ce livre mais je sais que beaucoup de lecteurs s'y sont ennuyés: pas assez d'action. Et pourtant quel style et quelle jolie histoire d'amour. 
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P
Pas beaucoup d'action, c'est vrai, et pourtant il en raconte des choses passionnantes, Stevens ! J'ai l'impression que ce roman est le chef d'oeuvre d'Ishiguro, non ? Tous les avis sur les autres me semblent très mitigés...
C
Même commentaires que mes petits camarades, je me suis régalée à lire ce roman, j'en garde encore le souvenir très  précis. En revanche j'avais été déçue par Quand nous étions orphelins.
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C
J'aime bien quand InColdBlog s'emballe :-DJe n'ai ni lu, ni vu, mais Emma Thompson est un nom magique en ce qui me concerne, alors j'hésite entre le film ou le livre, ne sachant faire les deux correctement...(Que c'est joli ce nouvel habillage de blog, j'aime !)
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P
ICB et Clarabel, je suis bien d'accord avec vous : ce livre est un chef d'oeuvre et j'ai été ravie de découvrir qu'il a eu le Booker Prize. Je n'ai pas vu le film et pourtant pour moi Stevens et Miss Kenton ont les visages d'Antony Perkins et Emma Thompson ! Je vais tâcher de me procurer le DVD ;-)<br /> Cuné, je partage ton amour Emma Thompson :-))) mais je te conseille quand même de lire le livre ! Et merci d'avoir remarqué que j'avais refait la déco : j'ai passé mon WE à me bagarrer avec mon CSS -D<br />  
C
Ah j'ai adoré ce roman ! Je l'avais lu en anglais (c'était au départ pour mes études...) puis je l'ai repris une ou deux fois après, et à chaque fois j'y plongeais de plus en plus profondément ! Quelle écriture, cet Ishiguro ! J'ai ensuite dévoré tous ses romans, que j'ai aimés, à l'exception de "the unconsoled". Mais ça vaut le coup ! J'ai aussi vu le film de James Ivory : superbe adaptation, très fidèle etc. Mais avec l'accent plus prononcé sur l'indicible attirance entre Stevens et Miss Kenton... A voir, of course ! :-D
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