Le livre des reines - Joumana Haddad

Publié le par Papillon

"Dans ses veines coulait le sang épais de l'insoumission, de même qu'une liqueur addictive nommée douleur."
 
Comme dans un jeu de cartes, les reines de ce roman sont quatre. Quatre femmes de quatre générations de la même famille. Elles s'appellent Qayah, Qana, Qadar et Qamar, et leur histoire est intimement liée à celle du Proche-Orient. Quatre femmes, quatre pays, quatre guerres. Tout commence dans le Sud de la Turquie où Qayah naît en 1912 dans une famille arménienne et chrétienne.  Au cours de la première guerre mondiale, les Turcs déportent et massacrent les Arméniens, et la petite fille voit sa famille décimée sous ses yeux. Adoptée par une autre famille arménienne, elle trouve refuge à Jérusalem où elle épouse un Palestinien. Mais la guerre israélo-arabe la chasse à nouveau en 1948 avec sa famille. Elle s'installe à Beyrouth et y élève sa fille Qana. Mais la vie est à nouveau bouleversée par la guerre du Liban à partir de 1975. Pourtant, malgré la méfiance des Libanais envers les Syriens, c'est à Alep que sa petite-fille Qadar finira par s'installer. Et la guerre à nouveau viendra frapper à la porte et chasser la famille...
 
"Au fond de mon âme il est un tombeau si attirant que je ne sais jusqu'à quand je résisterai à son appel."
 
Ce roman, très inspiré de l'histoire familiale de l'autrice, nous faite traverser un siècle d'histoire du Proche-Orient, tout en offrant un point de vue féminin sur la guerre. C'est l'histoire d'une errance pour fuir la violence, et on y assiste à toutes les horreurs que les femmes peuvent subir en temps de guerre comme en temps de paix, depuis le mariage forcé jusqu'à l'esclavage sexuel, en passant par toutes les formes d'agressions, les tabous et les interdits. Mais ces quatre femmes se bâtissent quand même un destin. Malgré les ruines et les deuils, elles se relèvent toujours, pour aimer, vivre et lutter. Elles tirent précisément leur force de leur histoire familiale, symbolisée par un médaillon que l'on se transmet de mère en fille. J'ai beaucoup aimé les nombreux termes étrangers qui parsèment le texte et permettent au lecteur (grâce aux notes de bas de pages) d'entrer dans le patchwork de cultures et de langues qui composent le Proche-Orient. L'histoire alterne des passages purement narratifs avec des extraits des journaux intimes de chacune de ces femmes, qui nous permettent d'entrer littéralement dans leurs têtes, et de partager leurs désirs, leurs peurs, leurs rêves et leurs angoisses. L'autrice a préféré le récit intimiste et féministe au récit historique, et c'est un peu frustrant parfois. J'ai regretté que cette histoire si dense et si poétiquement écrite soit si brève, je serais bien restée en compagnie de certaines de ces femmes, notamment la flamboyante et fière Qadar, et j'aurais aimé en apprendre un peu plus sur les méandres d'une Histoire que je connais assez peu, finalement.
 
"Il y a tant de corps épars derrière moi, enterrés ou abandonnés, dans tant de lieux différents, que je ne peux même plus en conserver la trace. Le monde n'est qu'un gigantesque cimetière."
 
Traduit de l’anglais par Arnaud Bihel.
Jacqueline Chambon, 2019. - 272 p.
 
Lu dans le cadre du Mois libanais chez Maeve .

 

 

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D
Voilà qui semble intéressant, mais c'est vrai que c'est curieux ces patronymes un peu semblables. Et, comme les copines, je te sens un peu tiède, quand même...
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P
L'autrice, qui écrit en Anglais, a voulu jouer sur le Q de queen, mais ça ne facilite pas le travail du lecteur :-) Le thème me plaisait beaucoup, et il y a beaucoup de trucs vraiment intéressants dans cette histoire, mais j'en suis quand même sortie un peu frustrée... Trop de thèmes dans trop peu de pages, peut-être.
A
Comme Kathel, je ne te sens pas particulièrement emballée. On se dit quand même que certains peuples et certaines époques éprouvent particulièrement les populations.
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P
Cette région-là a particulièrement souffert, et souffre encore. Les gens passent leur temps à fuir un pays pour un autre et sont quand même rattrapés par les conflits.
L
Le point de vue des femmes me convient bien car à chaque fois que je vois des guerres et les cortèges de réfugiés ce sont les images de ces femmes avec enfants ou non, et leurs yeux sans regards qui m'émeuvent le plus.
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P
C'est la partie intéressante du roman et la première partie est assez dure...
K
Il ne faut s'embrouiller dans les prénoms ! Je ne te sens pas assez enthousiaste pour noter...
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P
Oui, je me suis parfois un peu mélangé les pinceaux, d'autant que l'autrice brouille l'ordre chronologique. Pas totalement emballée, non, même si la partie historique est vraiment intéressante.