Étés anglais - Elizabeth Jane Howard

Publié le par Papillon

"L'air avait un chaud parfum de rose et de chèvrefeuille, les merles juchant pour la nuit émettaient leur cliquetis métallique et le ciel, que striaient de petits nuages vaporeux comme du duvet, virait à l'abricot."
 

Quoi de mieux, pour commencer douillettement l'année, qu'un bon gros roman so british (les Anglais nous ont quittés, mais on les aime toujours) dans lequel on se plonge avec le même délice que celui que l'on éprouve à se promener dans un jardin bien-aimé.

La famille Cazalet est une grande famille bourgeoise qui vit à Londres. Le patriarche, que tout le monde surnomme le Brig, fait commerce de bois précieux. Ses deux fils aînés Hugh et Edward (qui ont tous deux combattu pendant la Grande guerre ; Hugh y a même laissé une main) travaillent dans l'entreprise ; son plus jeune fils, Rupert, est peintre. Ils sont tous mariés et pères de famille, alors que leur sœur Rachel est restée célibataire mais cultive un amour secret. Quand l'été arrive, tout ce petit monde migre avec enfants et gouvernantes vers le Sussex pour passer les vacances dans la grande maison de famille, Home Place. 
 
Le roman commence à l'été 1937, Hitler vient d'annexer l'Autriche et la crainte d'une guerre commence à se répandre en Europe, mais personne n'y croit vraiment chez les Cazalet. C'est l'insouciance des vacances. Si les hommes parlent affaires et politique, les dames s'affairent à leurs toilettes et à leur marmaille. Les hommes jouent au golf, les dames sont au piano, les uns et les autres se retrouvent sur le gazon du tennis, les garçons font du vélo, les filles grimpent aux arbres, les plus jeunes font des bêtises, et le soir chacun attend son tour pour disposer de l'unique baignoire de la maison, avant de s'habiller pour le dîner. Et de temps en temps on s'entasse dans les voitures pour une journée à la mer. Pendant ce temps au sous-sol, au garage et au jardin, une nuée de domestiques s'activent pour assurer le confort de la famille et la nourrir avec des plats aussi exotiques que des tourtes au lapin et des castle puddings
 
"La Duche appartenait à une génération et à un sexe dont l'opinion n'avait jamais été sollicitée pour quoi que ce soit de plus sérieux que les maux des enfants ou d'autres préoccupations ménagères, mais cela ne voulait pas dire qu'elle n'en avait pas."
 
Tout cela est absolument délicieux et bourré de charme, il ne se passe pas grand chose mais on ne s'ennuie pas une seconde. On se croirait chez Barbara Pym, les pasteurs en moins et le standing en plus. On prend un immense plaisir à faire peu à peu connaissance avec tous les membres de la famille, du plus vieux au plus jeune, car l'autrice a pris soin de donner la parole à tout le monde, domestiques inclus. Derrière la façade joliment policée de l'entente familiale se dévoilent ainsi les failles intimes soigneusement dissimulées, les regrets, frustrations  et inquiétudes diverses. Villy trouve sa vie familiale bien fade et regrette sa vie passée de danseuse, pendant que son séducteur de mari s'offre des escapades pour rejoindre sa maîtresse, Sybil est sur le point d'accoucher de jumeaux, la belle et futile Zoé dévore Autant en emporte le vent, mais ne sait pas comment être une mère pour ses beaux-enfants, Rachel se plie en quatre pour satisfaire tout le monde, Louise apprend Shakespeare par cœur et rêve du jour où elle pourra quitter la maison pour devenir actrice, Polly est terrifiée par la perspective d'une nouvelle guerre,  Simon est terrorisé à l'idée de retourner en pension et la petite Lydia vit dans la peur que sa maman puisse mourir...
 
"On nous a inculqué que grandir c'était, entre autres, apprendre à ne pas pleurer. Ce n'est autorisé que pour la musique, par patriotisme, ou des choses comme ça."
 
J'adore ce genre de saga qui décrit autant une famille qu'une époque, sans négliger la psychologie des personnages, car l'autrice a réussi à donner à chacun une vraie personnalité. Tout comme elle a le don de saisir tout ce qui palpite et qui vibre sous le masque social de l'éducation et des bonnes manières. Elle nous décrit le quotidien des Cazalet avec une telle minutie que le lecteur a l'illusion d'être assis dans leur salon avec une tasse de thé. Etés anglais est le premier épisode d'une série de cinq, et j'ai déjà hâte de retrouver très vite ces charmants Cazalet.
 
"Il ne va pas y avoir de guerre. Et si elle a lieu, rappelle-toi ce que l'on a appris en histoire... on gagne à chaque fois."
 
Titre original : The Light Years (1990)
Traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff.
La Table Ronde, coll. « Quai Voltaire », 2020. - 576 p.
 
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L
tu me sembles partie pour une longue très longue aventure 5 tomes !! c'est beaucoup .
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P
Oui, mais comme ils ne sont pas encore tous sortis, je vais ppouvoir prendre mon temps ;-)
D
Pas trop ma tasse de thé - si je puis dire. Et même si j'aime beaucoup les Anglais et regrette qu'ils nous aient quittés !
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P
Tant pis ! :-)
C
toute cette saga me fait de l'oeil...à lire vite, en 2021 donc! bonne année!
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P
A découvrir, vraiment ! Bonne année
N
Tu as tout dit :-)
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P
:-)
Y
Voilà qui est des plus tentant :-)
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P
Laisse-toi donc tenter ;-)
H
je suis accroc !!
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P
Comme je te comprends !
M
Très envie de découvrir cette saga d'autant plus que je n'ai jamais lu l'auteure.
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P
Moi non plus, et ce fut une très belle découverte.
K
Aie je reconnais le charme des passages d'une saison à Hydra, alors si en plus tu parles de barbara pym, je suis encore plus cuite (les lire en vO? pourquoi pas)
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P
En VO en plus ils sont tous disponibles, pas besoin d'attendre la traduction qui va s'étaler chez nous sur plusieurs années, si j'ai bien compris.
K
Comme Aifelle, je suis indécise, et comme je n'ai pas été emballée par Une saison à Hydra "chat échaudé craint l'eau froide" ! :)
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P
Je suis moins tentée par Une saison à Hydra (surtout après ton billet !), mais j'ai beaucoup aimé l'histoire de cette famille et j'ai vraiment de lire la suite de leurs aventures.
A
Les avis sont plutôt variés sur cette série ; je change d'avis à chaque fois. Ton billet du jour me donne à nouveau envie de m'y plonger.
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P
C'est sûr que ce n'est pas un roman avec des tas de péripéties (mais c'est un premier tome, il faut le temps de mettre en place tous les personnages), mais c'est un régal.