Rebecca - Daphné du Maurier
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Voici sans doute le roman que j’ai le plus lu et relu (avec Orgueil et préjugés de Jane Austen) et pourtant, tout en en connaissant l’intrigue par cœur, mon plaisir est toujours aussi intense, ma frénésie à tourner les pages toujours aussi vivace, mon sentiment d’oppression toujours aussi fort… Bienvenue à Manderley.
Ce roman commence comme une bluette : une jeune fille terne et modeste rencontre sur la Côte d’Azur un riche et bel anglais un brin cynique, Maxim de Winter. Elle est demoiselle de compagnie d’une riche américaine ; il est le propriétaire d’une vaste propriété en Cornouailles, veuf depuis peu et prétendument inconsolable. Il la promène pendant quinze jours dans l’arrière-pays puis lui propose le mariage sur ce qui semble être un coup de tête. Malgré leur différence d’âge et de milieu social, elle accepte parce qu’elle est très amoureuse. A peine arrivée à Manderley, la jeune mariée (à qui l’auteure n’a même pas fait l’aumône d’un prénom) comprend que tout va être plus difficile que dans ses rêves.
« Les grilles s’étaient refermées derrière nous avec un craquement, la grande route poussiéreuse avait disparu et je m’aperçus que cette allée n’était pas celle que j’avais imaginée en pensant à Manderley : ce n’était pas une large avenue de gravier bordée de parterres réguliers de chaque côté, bien balayée et ratissée. L’allée ondulait comme un serpent, à peine plus large par endroits qu’un sentier, et une grande colonnade d’arbres s’élevait au-dessus de nos têtes, entremêlant leurs branches noueuses, nous faisant une voûte comme une entrée de cathédrale. »
Un mari secret qui refuse d’évoquer le passé, un manque de confiance en elle, un excès d’imagination, tout concourt à ce que la jeune femme se sente mal à l’aise. Et, surtout, le fantôme de la première épouse s’impose avec force. Rebecca est dans les rhododendrons du jardin, Rebecca est dans les bibelots du petit salon, Rebecca est dans un mouchoir oublié au fond d’une poche, Rebecca est dans la bouche de tous les domestiques. Et Rebecca est belle, intelligente, accomplie, généreuse, adorée de tous, notamment de son mari. Ce mythe est religieusement entretenu par l’inquiétante Mrs Danvers, la gouvernante, une femme sèche, autoritaire et fermée qui n’apprécie guère qu’une intruse prenne la place de Madame de Winter.
Il y a deux romans dans ce roman. Dans le premier, il ne se passe pas grand chose, tout est dans l’atmosphère, dans les non dits, dans l’angoisse qui étreint jour après jour la jeune mariée trop impressionnable, trop convaincue de sa ternitude, de son insignifiance et donc de son incapacité à être aimée de son mari. La tension monte en un crescendo oppressant, jusqu’au coup de théâtre qui transforme le roman en policier.
Daphné du Maurier montre parfaitement que ce qui nous fait le plus de mal ce ne sont pas les faits eux-mêmes, mais les fantasmes que nous bâtissons autour. Le lecteur innocent se dit ; « Comment un tel homme a-t-il pu épouser une telle femme ? », alors que le lecteur averti sait, lui, que Maxime de Winter ne pouvait pas épouser une autre femme. Il souffre d’autant plus en voyant la nouvelle épouse se débattre dans le labyrinthe des secrets et des faux-semblants.
Avec le personnage de Rebecca, Daphné du Maurier démonte le mythe de la beauté au visage d’ange qui ne serait que bonté et amour. Et quand le masque tombe, il ne reste que mensonges et hypocrisie. Ce qui était amour devient haine, ce qui était pur devient toxique et ce qui était lumineux devient pourriture. Dans ces conditions, où est le bien et où est le mal ? C’est tout l’enjeu de la seconde partie du roman.
J’aime tout dans ce roman : cette anti-héroïne timide et maladroite, cette histoire d’amour improbable, cette immense bâtisse pleine de recoins et de fantômes, ce personnage de Rebecca que l’on ne voit jamais mais qui occupe tout l’espace et, surtout, la plume de Daphné du Maurier qui nous entraîne dans un tourbillon d'inquiétude qui ne s'arrête pas au point final.
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Lu dans le cadre du Mois Anglais
Traduit de l’anglais par Denise Van Moppès. Le Livre de poche, 1971 (1e éd. 1939). – 377 p