Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants - Mathias Enard
Ce roman relate un épisode peu connu de la vie de Michel-Ange (épisode qui ne figure même pas sur sa biographie Wikipédia). En mai 1506, Michel-Ange devenu très célèbre depuis son David, est invité à Constantinople par le grand sultan Bayazid pour construire un pont sur le Bosphore. Michel-Ange traverse une période difficile. Il vient de se fâcher avec son protecteur, le pape Jules II, dont il est chargé de construire et de sculpter le mausolée, mais qui refuse de le payer. Obligé de fuir Rome, Michel-Ange accepte l’invitation du Grand Turc, malgré ses réticences. Il craint de déplaire au pape en se rendant chez son ennemi, et surtout le très pieux Michel-Ange craint de se frotter aux infidèles, les musulmans.
Un style très fluide, de courts chapitres et un artiste tout à la fois génial et touchant qui se révèle à nous dans sa force et ses faiblesses. Michel-Ange cherche l’amour et craint l’amour et le désir. C’est un être très pur que nous dévoile Mathias Enard : un homme sobre, chaste et pieux, travailleur acharné, qui souffre d’autant plus de sa dépendance envers les puissants qui le font travailler qu’il est convaincu de son talent, pour ne pas dire son génie. Ce séjour assez bref à Constantinople sera très marquant pour l’artiste qui découvre un autre monde, d’autres formes, d’autres couleurs, d’autres parfums. On en retrouve, paraît-il, de nombreuses traces dans le plafond de la Chapelle Sixtine que Michel-Ange peindra quelques années plus tard.
Un roman que j’ai adoré et qui m’a donné envie de prendre le premier avion bateau pour Istambul, avec, pour tout bagage, une grosse biographie de cet artiste incroyable que fut Michel-Ange.
« Michel-Ange rêve d’un banquet d’autrefois, où l’on discuterait d’Eros sans que jamais le vin n’empâte la langue, sans que l’élocution ne s’en ressente, où la beauté ne serait que contemplation de la beauté, loin de ces moments de laideur préfigurant la mort, quand les corps se laissent aller à leurs fluides, à leurs humeurs, à leurs désirs. Il rêve d’un banquet idéal, où les commensaux ne tangueraient pas dans la fatigue et l’alcool, où toute vulgarité serait bannie au profit de l’art. »
Actes Sud, 2010. – 154 p.