Nos disparus – Tim Gautreaux
Rentrée littéraire 2014
Quand Sam Simoneaux débarque en France le 11 novembre 1918, c’est pour apprendre que la guerre est finie. De ce rendez-vous manqué, il gardera le surnom de Lucky. Pourtant, de la chance il n’y en a pas eu tant que ça jusqu’ici dans la vie de ce cajun de Louisiane. Toute sa famille a été assassinée alors qu’il n’était qu’un bébé, pour une sombre histoire de vengeance, puis plus tard il a vu mourir son premier-né. Mais Sam est un type d’humeur égale qui préfère regarder vers le futur plutôt que vers le passé. En 1921, il est responsable d’étage dans un grand magasin de New-Orleans, porte un beau costume et des chaussures vernies : c’est un homme heureux. Jusqu’au jour où une petite fille est enlevée quasiment sous ses yeux. Jugé responsable par son patron, Sam est limogé. Jugé responsable aussi par les parents, Tom et Elsie Weller, qui lui enjoignent de poursuivre l’enquête, que la police a abandonnée, puisqu’il est le seul à avoir vu le kidnappeur. Les Weller sont musiciens sur l’un de ces bateaux à vapeur qui remontent le Mississipi. Sam, rongé par la culpabilité, se fait engager comme lieutenant sur ce bateau, dans l’espoir de trouver une piste qui le mène à la petite Lily.
Si la recherche de la petite fille, qui va avoir des conséquences dramatiques, est le fil rouge du roman, la toile de fond en est un monde en pleine mutation. Nous sommes dans le Sud profond des Etats-Unis, une région encore très rurale, régie par la violence, composée de petits villages posés au bord du fleuve ou perdus dans les marécages et les forêts profondes. Le bateau de croisières est un des rares divertissements, on s’y entasse pour danser le temps d’une nuit. C’est le début du jazz, des voitures à moteur et la fin des bateaux à vapeur. C’est aussi l’époque de la prohibition, et le bateau offre un espace hors-la-loi où l’on se saoule d’alcool trafiqué. Le principal boulot de Sam consiste à éviter les bagarres et réparer les dégâts. Nous le suivons le long du Mississipi de Mark Twain, qui traverse indolemment un pays de sauvages où dès que l’on quitte son comté, on n’est plus personne. La police est, au mieux, indifférente, au pire, corrompue. Difficile dans ces conditions d’obtenir justice. Mais Sam ne renonce pas à retrouver Lily, et cette quête va le mener sur la trace de son propre passé, trop longtemps refoulé.
Si Tim Gautreaux interroge dans cette enquête la question de la famille, de la perte et de l’absence, le véritable enjeu du roman porte sur l’inanité de la vengeance, qui ne peut engendrer qu’une violence destructrice et sans fin.
« C’est pas juste ! s’écria August. Si les gens ont pas ce qu’ils méritent quand ils assassinent quelqu’un, c’est pas juste ! — Je suis d’accord avec toi. Mais essayer de leur régler leur compte avec un fusil à six dollars, ce n’est pas une solution non plus. »
Un très bon roman, au rythme languissant, qui nous transporte dans un monde à la fois exotique et suranné, et fait la part belle aux petites gens et à toutes les formes de famille.
D’autres billets : Yan - Unwalkers – Joelle
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville.
Seuil, 2014. – 544 p.