L'autre moitié du soleil - Chimamanda Ngozi Adichie
Le titre de ce roman évoque le drapeau du Biafra, éphémère pays africain qui est pour moi synonyme de famine, car ce fut à l’occasion de la guerre du Biafra que l’on vit pour la première fois à la télévision des enfants noirs avec un ventre énorme et que nos parents commencèrent à nous dire : « Finis ton assiette, pense aux petits africains qui meurent de faim. » Mais j’aurais été bien en peine de situer ce petit pays sur une carte.
Et c’est bien l’objet de ce roman : remettre en lumière une guerre que tout le monde a oubliée.Le Nigeria, colonie anglaise, obtient son indépendance en 1960, mais c’est un pays politiquement fragile, encore sous l’emprise des britanniques, rongé par la corruption et où cohabitent trois ethnies différentes qui se disputent le pouvoir. C’est au Sud, dans le pays Ibo que sont nées Olanna et Kainene, les deux filles d’un riche négociant. Elles ont eu enfance privilégiée, avec école privée et université anglaise. Mais, alors que Kainene choisit le monde des affaires comme son père, Olanna devient enseignante dans la toute nouvelle université de Nsukka. Elle y rencontre Odenigho, professeur de mathématiques politiquement engagé qui réunit régulièrement ses collègues chez lui pour envisager l’avenir du Nigeria, un pays qu’il rêve de voir se détacher de l’influence des Blancs. Kainene, elle, tombe amoureuse de Richard, journaliste britannique venu écrire un livre sur les poteries ibo. Quand un coup d’état renverse le gouvernement, Odenigho jubile, les Ibos prennent le pouvoir. Mais six mois plus tard, un nouveau coup d’état les renverse et ils sont littéralement massacrés par les haoussas. Le pays ibo décide alors de faire sécession : le Biafra est né. Mais le Nigeria n’a pas l’intention de se séparer de sa région la plus riche où abonde le pétrole. Il déclare la guerre au Biafra.
Plusieurs points de vue se partagent la narration pour nous raconter ces dix ans de tourmentes et de guerre. Olanna d’un côté, Richard de l’autre, évoquent à la fois leur situation sentimentale et le contexte politique. Mais il y a surtout la voix d’Ugwu, le jeune boy d’Odenigho qui est en admiration totale devant son « master » qui l’envoie à l’école et lui parle des livres qu’il lit. Ugwu est un très jeune paysan qui a grandi dans une case et tombe des nues devant le réfrigérateur, la cuisinière ou la radio. Il permet à l’auteur d’illustrer un pays très contrasté où les villes vivent à l’heure occidentale, alors que les villages ont gardé toutes leurs traditions, leurs coutumes et leurs superstitions. Tous les personnages sont très attachants, la belle Olanna et la forte Kainene, le fragile Richard et le révolutionnaire Odenigho. Tous nous font vivre au jour le jour cette guerre, le lecteur est complètement immergé dans ce drame, les évacuations, les bombardements, les réfugiés, la conscription obligatoire, la famine, les morts, et la vie pourtant qui continue avec ses petites joies, ses grands rêves, et cet espoir, insensé et immense, que le Biafra va gagner.
Une magnifique et douloureuse épopée africaine.
Traduit de l’anglais (Nigéria) par Mona de Pracontal.
Folio, 2010. – 664 p.