Trois fois dès l'aube - Alessandro Baricco
"J'aime bien être méchante, comme ça je me protège du monde, je n'ai peur de rien."
Trois rencontres entre un homme et une femme, à trois moments différents, et pourtant une rencontre unique. Cette contradiction n'est possible que dans la temporalité romanesque, et c'est ce qui m'a plu, tout comme m'a plu l'idée que ce roman fut d'abord un livre imaginaire dans Mr Gwyn avant de devenir un vrai livre.
Trois rencontres, le même homme et la même femme, dans un hôtel à l'aube.
Trois rencontres et trois époques. La première fois, ils sont adultes tous les deux ; la seconde, lui est un homme mûr, elle une adolescente ; la troisième au contraire, c'est lui l'enfant et elle la femme âgée.
Trois rencontres de hasard, trois rencontres improbables, trois rencontres chargées de sens.
Trois rencontres, et chacune sera un petit coup de pouce au destin.
Trois rencontres, trois moments comme suspendus hors du temps réel de la vraie vie.
A chaque fois il sera question d'une fuite, une esquive, un virage, un de ces moments où la vie peut prendre une autre tournure.
A chaque fois il sera question de la difficulté de vivre, de la difficulté d'aimer, de ce qui est possible et de ce qui ne l'est plus.
A chaque fois il y aura comme une connivence implicite entre ces deux inconnus.
"Alors l'assaillit cette angoisse qui l'oppressait la nuit, durant ses heures sans sommeil, quand toutes les cartes de sa vie défilaient dans son esprit, et que sur chacune elle pouvait lire une fin rampante, inéluctable."
J'ai aimé le contrepoint entre l'impossibilité théorique de ces trois rencontres et la cohérence que ces trois brefs moments dévoilent de la vie de ces deux personnages, toute une vie esquissée en trois tableaux, comme un puzzle. Le texte est d'autant plus dense qu'il est très bref, chacune de ces rencontres est marquée par l'intensité de la situation, entre ces deux inconnus qui ont tous deux des vies un peu cabossées. Cela ressemble à ces conversations que l'on a, parfois, avec des inconnus, à qui on raconte sa vie parce qu'on sait qu'on ne les reverra jamais.
C'est un roman qui vous saisit à la gorge parce qu'il est difficile de ne pas s'y reconnaître, plus ou moins. Qui n'a jamais fait d'erreur dans sa vie : choisi la mauvaise personne, suivi le mauvais chemin, pris la mauvaise décision ?
"Vous auriez peut-être dû vous suicider.
Qui sait. Je pense toutefois pouvoir exclure cette hypothèse. C'est toujours mieux de vivre."
Traduit de l'italien par Lise Caillat.
Gallimard, coll. Du monde entier, 2015. - 122 p.