Academy Street - Mary Costello
"La compagnie des autres lui laissait une impression de solitude et même, parfois, de danger. Elle se sentait coupée d'eux. Leurs conversations, leur rêves lui semblaient accessoires, artificiels même, un mauvais moment à passer avant d'atteindre la conversation authentique, le cœur du sujet."
Une petite fille de sept ans perd sa mère dans l'Irlande rurale et catholique des années quarante. Pour cette petite fille, le deuil fondateur, majeur, destructeur va créer une béance que rien jamais ne pourra combler, ni le père taciturne, autoritaire et rugueux, ni la grande sœur affectueuse, ni l'émigration vers un autre continent, ni la vocation d'infirmière empruntée à la mère défunte. Cette petite Tess solitaire, en quête d'une altérité impossible, devient une femme qui vit toujours comme à côté de la vie, à côté de l'amour, tout en étant hypersensible à tout ce qui palpite autour d'elle. Cette femme nous la suivons pendant près de soixante ans, de l'Irlande à l'Amérique, nous la voyons grandir, mûrir, vieillir. Elle a du mal à s'attacher, au monde comme aux gens, elle a du mal à savoir qui elle est, au fond. C'est une femme en suspens, toujours entre deux : entre deux pays, entre deux mondes, entre la vie et la mort, entre le passé et le présent, entre l'ici et l'ailleurs.
"Il lui semblait parfois qu'elle était abandonnée sur une île, un abîme, large et noir, la séparant de l'amour humain dans son ensemble."
C'est un roman où il ne se passe rien d'extraordinaire, mais qui dessine un beau portrait de femme solitaire qui semble marcher en permanence sur un fil, tâchant coute que coute de conserver son équilibre alors que tout la fait vaciller, parce qu'elle est très réceptive aux vibrations du monde, aux signes, aux symboles et aux présages. Ce n'est qu'une vie de femme et de mère, et pourtant cette histoire bruisse de mille sensations, de mille éclats de vie, comme les pulsations d'un cœur qui bat. Ce roman court mais très dense, porté par une plume simple et délicate, fait défiler toute une vie en moins de deux cents pages, mais chaque phrase est une lame qui s'enfonce dans le cœur. C'est juste et beau, c'est profond et douloureux. C'est un roman dans lequel on entre avec désinvolture comme dans une évidence, comme dans un jardin ouvert qui dévoile peu à peu son mystère, sa complexité, sa splendeur, un roman qui tout doucement vous saisit par un coin du cœur et ne vous lâche plus, et vous met de l'eau plein les yeux. Un roman poignant et magnifique.
"Elle habitait un monde divisé, le dedans séparé du reste, au-dehors. C'était cette deuxième vie, ce moi profond, qui donnait de la valeur à la vie qu'elle menait en façade et qui lui correspondait le plus fidèlement. Elle était elle-même, authentiquement elle-même, durant ces heures passées parmi les livres."
"Alors elle le vit, le vide qui avait remplacé la maison, l'absence au centre de tout. Une absence semblable à une plaie, une cicatrice dans la terre."
Cuné a aimé aussi.
Traduit de l'anglais (Irlande) par Madeleine Nasaliz.
Seuil, 2015. - 187 p.
Et je l'ajoute aux pépites de Galéa (en précisant que c'est un livre que j'ai emprunté à la bibliothèque). C'est ma 5e et dernière pépite pour la saison 2014-2015.