Quelle époque ! - Anthony Trollope
Anthony Trollope est un écrivain anglais de l'époque victorienne, assez peu connu en France et tout aussi peu traduit, alors qu'il était très célèbre et très lu en son temps. Dans ce gros roman, Trollope critique les moeurs de son époque, à travers une galerie de personnages plus ou moins sympathiques.
Le héros de cette histoire est un jeune homme frivole et inconséquent. A vingt-cinq ans, Sir Felix Carbury a déjà mangé le petit héritage laissé par son père, et passe ses nuits à boire et à jouer aux cartes, au grand désespoir de sa mère. Que reste-t-il à un jeune aristocrate anglais quand il est au bord de la ruine ? Trouver une riche héritière. Sur les conseils de Lady Carbury, le jeune homme porte son regard nonchalant sur Marie Melmotte, fille d'un riche financier de la City. Mais Augustus Melmotte, qui a débarqué de France quelques mois plus tôt, a très mauvaise réputation : génie pour les uns, escroc pour les autres. Qu'importe ! Il étale son argent lors de grands bals auxquels se pressent les lords et les duchesses, oubliant leurs préjugés dans l'espoir de profiter des largesses et des combines du grand homme. Mais un tel homme acceptera-t-il de donner la main de sa fille unique à un baronnet ruiné et joueur ? D'autant que les prétendants sont légion. Melmotte va profiter de leur avidité pour les associer à ses affaires douteuses et les rouler les uns après les autres.
Trollope montre une société décadente, obsédée par le pouvoir de l'argent. Si vous en avez (ou donnez l'impression d'en avoir), on vous en donnera encore plus, on vous fera crédit et le monde sera à vos pieds. Trollope s'en prend à toutes les classes de la société : les financiers qui s'enrichissent sur le dos des naïfs crédules, les aristocrates qui dilapident leur patrimoine en futilités, trouvent normal de ne pas honorer leurs dettes et méprisent les hommes d'affaire dont ils sont pourtant prêts à épouser les filles ; les politiciens prêts à tous les compromis pour gagner un siège au parlement ; la presse qui renonce souvent à l'impartialité pour se vendre au plus offrant ; et jusqu'au monde des lettres avec des écrivains prêts à toutes les bassesses pour obtenir un bon papier (rien de nouveau sous le soleil...) Le monde que décrit Trollope est celui du mensonge et de la tromperie à tous les étages.
Cette vaste fresque, drôle et ironique, qui multiplie les personnages secondaires et les intrigues parallèles, est donc d'une étonnante modernité. J'ai beaucoup pensé en la lisant à La foire aux vanités de Thackeray, même si la plume de Trollope n'a pas le mordant de celle de son contemporain et ami. Et son roman souffre de nombreuses longueurs et répétitions. Il a d'abord été publié en feuilleton et ça se sent. Et l'auteur devait être payé à la page, car il prend plaisir à faire durer le suspense par de faux rebondissements, notamment dans les trois ou quatre histoires sentimentales complexes qui se trament en arrière-plan. C'est dommage, car Trollope est un formidable conteur au style brillant et un fin connaisseur de la nature humaine.
Traduit de l'anglais par Alain Jumeau.
J'ai Lu, 2012 (1e édition 1875). - 818 p.