Passagère du silence - Fabienne Verdier
Ce livre m'a été offert par Flo (dans une autre vie), alors que je rentrais de mon premier voyage en Chine. Il est resté dans ma PAL pendant des années (honte sur moi !), avant que je ne l'en sorte cet été, non seulement parce que je retournais en Chine, mais parce que je commençais à m'initier à l'art de la calligraphie, qui est à la base du travail de Fabienne Verdier.
Fabienne Verdier est peintre, une vocation qui est venue très tôt et qui l'a conduite à l'école des Beaux-Arts de Toulouse, où elle s'ennuie. L'enseignement est plus basé sur l'espression personnelle que sur l'apprentissage d'une technique, et l'un ne vient pas sans l'autre. Fabienne Verdier s'y découvre un intérêt particulier pour les paysages chinois traditionnels et s'initie à une technique qui la passionne : la calligraphie (occidentale).
"Commençait à s'ancrer en moi la conviction que, dans l'art calligraphique, se profilait aussi un art de vivre."
Sitôt son diplôme en poche, elle décide d'aller en Chine parfaire son éducation artistique. Sans un sou en poche, elle profite d'un jumelage entre Toulouse et Chonquing pour bénéficier d'un échange d'étudiants et d'une bourse d'études. Après un voyage de cauchemar, elle arrive à Chonquing, capitale du Sichuan, ville industrielle, triste et surpeuplée. On est en 1983 et les conditions de vie sont épouvantables : manque de place, de nourriture, d'hygiène. Le quotidien à l'université tient plus du camp de travail que du campus à l'américaine. En plus, de par sa condition d'étrangère, Fabiene Verdier est tenue à l'écart des autres étudiants : chambre particulière, cuisinier particulier, interdiction d'apprendre le chinois, et surveillance constante par un membre du parti. Une autre aurait sans doute plié bagage. Pas elle. Elle fait un scandale auprès du directeur et obtient gain de cause. Désormais, sa vie s'améliore au moins du point de vue social. Elle se fait des amis et prend part à la vie de l'université.
Mais le contenu de l'enseignement ne la satisfait pas. La Chine des années quatre-vingt est encore traumatisée par la révolution culturelle qui a saccagé l'art, la culture et la religion traditionnelles. Les lettrés ont été bannis, rééduqués et interdits d'enseignement. La tendance du jour est au réalisme communiste et il ne fait pas bon s'écarter de la ligne du parti. Pourtant, Fabienne Verdier va partir à la recherche de ces lettrés, car c'est l'art traditionnel et la calligraphie qui l'intéressent. Elle va finir par trouver un maître qui accepte de la prendre pour élève, à condition de tout reprendre à zéro, un enseignement qui va durer six ans, et sera à la fois artistique, philosophique et humain.
"L'acte de peindre doit être l'agir du non-agir, l'agir naturel, sans désir, qui n'est pas tourné vers le moi. C'est par l'oubli de soi qu'on obtient la fusion avec le Ciel, avec le Tout. Cesse de penser, de vouloir, de calculer. Instaure en toi la non-contrainte totale pour être en harmonie avec la source de ton coeur. Fuis le rationnel, le conventionnel. Quand cette source où tu bois le meilleur de ton oeuvre se tarit, ne te force pas, n'essaie pas d'extraire à tout prix, avec effort, l'inspiration qui passe, aussi fugitive que le désir. Sors, promène-toi, parle à ton oiseau. Et ne regrette rien : tu n'aurais créé qu'oeuvre morte."
Ce récit relate le parcours très original d'une artiste au tempérament d'acier et nous offre un témoignage unique sur une Chine qui n'existe plus. Du tempérament et de la volonté, il lui en a fallu, à cette jeune femme pour vaincre les difficultés, la maladie, l'inconfort, mais elle était tellement tournée vers son rêve, qu'elle parvint à obtenir touit ce qu'elle voulait, même dans un pays aussi autoritaire que la Chine. Et c'est ce qui fait l'originalité de son oeuvre picturale. C'est en 1989, à l'occasion des évènements de Tien-An-Men que Fabienne Verdier doit quitter la Chine, contre son grè. Depuis, la Chine a complètement changé, se livrant avec frénésie aux joies du capitalisme et occidentalisant ses villes et son mode de vie. Parallèlement, elle est à nouveau fière de son passé culturel et artistique, et commence à rebatir ce qui fut détruit...
Tout est passionnant dans ce livre : la personnalité de l'auteur, l'enseignement reçu de son vieux maître et le portrait de la Chine vue de l'intérieur.
Le site de Fabienne Verdier.
Le livre de Poche, 2005. - 311 p.