L'aventure vient de la mer - Daphné Du Maurier
« Pendant qu’il se donne à l’amour, l’homme échappe au fardeau de son amour, en même temps qu’à lui-même.»
Maintenant que j'ai commencé à relire Daphné Du Maurier, je ne peux plus m'arrêter ! Ce roman-ci (souvent publié sous le titre La Crique du Français) n'est ni le plus connu, ni le plus réussi, il fut pourtant longtemps l'un de mes préférés.
On y rencontre Lady Dona St. Columb, riche aristocrate qui mène une vie oisive à la Cour de Charles II, et qui trompe l'ennui de cette vie de plaisirs en s'encanaillant dans les tavernes londoniennes en compagnie de son mari et du meilleur ami de celui-ci. Jusqu'au jour où, dégoûtée d'elle-même et ne rêvant que de liberté, elle s'échappe pour la Cornouailles où son mari a une maison, où ils n'ont pas mis les pieds depuis des années. Très vite, des bizarreries attirent son attention : un nouveau valet aussi obséquieux qu'impertinent, un livre de poésie française oublié dans un tiroir, des allées et venues nocturnes. Il n'en faut pas plus pour que la curieuse et intrépide Dona parte en reconnaissance et découvre une crique secrète où mouille un voilier. Elle comprend très vite qu'elle vient de découvrir la cachette de ce pirate français qui dévaste la côte de Cornouailles et contre lequel on l'a mise en garde. Le pirate, cependant, loin d'être le brigand assoiffé de sang qu'on lui a décrit, se révèle être un homme cultivé et raffiné, artiste et philosophe. Un étrange amitié se noue et le Français ne va pas tarder à proposer à la jeune femme de l'accompagner dans sa prochaine virée : voler dans le port une goélette qui arrive des Indes avec une riche cargaison. Une aventure rocambolesque s'en suit.
Avec du recul, ce roman m'apparaît davantage destiné à des ados qu'à des adultes, les deux héros se comportant eux-mêmes comme des ados farceurs plus souvent qu'à leur tour : chapardage de perruque, déshabillage de notables, embobinage de geôlier. Ils incarnent la gaieté et la vivacité de la jeunesse face à des notables raides et compassés. Ils symbolisent aussi, sans doute, la folie de cette joyeuse Restauration qui succéda à dix ans de puritanisme cromwellien. Mais il serait dommage de réduire ce roman à une histoire d'amour et d'aventures, car il y a beaucoup plus de profondeur que ça chez Daphné Du Maurier. Par exemple, la première fois que Dona dîne aux chandelles avec son pirate, pensez-vous qu'il lui conta fleurette ? Point du tout. Il discourut sur le bonheur :
« Et êtes-vous heureux ?
— Je suis content !
— Quelle est la différence ?
— Vous me prenez au dépourvu. Ce n’est pas facile à expliquer. Le contentement est un état où le corps et l’esprit travaillent ensemble harmonieusement, sans friction. L’esprit est en paix, le corps également, ils se suffisent à eux-mêmes. Le bonheur est fugace, n’apparaît souvent qu’une fois dans une existence ; il ressemble à l’extase. »
Tout le roman est parcouru par ce désir de bonheur et d'évasion loin des contraintes de la condition humaine. Jean-Benoît Aubéry a fui son Finistère natal et l'ennui d'une vie de châtelain de province pour se faire pirate, Dona ne rêve que d'évasion et de liberté, mais sa condition de femme et de mère fait qu'elle ne peut guère s'évader plus de quelques heures. Nous sommes tous enchaînés à quelque chose, au fond, et même ce pirate qui se croit libre, finit par avouer qu'il ne l'est plus :
« Comme vous êtes liée à moi, je suis lié à vous. (…) J’ai compris que désormais, pour moi aussi, l’évasion serait impossible. Prisonnier ! Le donjon où je me trouve enchaîné est sans issue. »
Raison ou sentiments, que choisiront Dona et son pirate ? Je vous le laisse découvrir.
Traduit de l'anglais par Berthe Vulliement.
In : Oeuvres
Robert Laffont, coll. Bouquins, 1996 (1e ed. 1942). - 940 p.