Confiteor - Jaume Cabré
Dans les années cinquante à Barcelone, Adria est un enfant unique qui grandit entre un père froid et une mère indifférente. Tous les deux mettent pourtant de grands espoirs dans son avenir : son père veut en faire un érudit, alors que sa mère rêve de le voir devenir violoniste. Il y a d'ailleurs dans cette famille un violon très ancien et très précieux. Pendant longtemps les seuls amis d'Adria seront deux jouets ; un cow-boy et un indien. Puis il rencontre Bernat qui deviendra son ami pour la vie. Contrairement à lui, il finira par préférer les études de langues et d'histoire au violon. Puis Adria rencontre Sara, son grand amour, Sara avec qui la vie est compliquée, Sara à laquelle il écrit cette longue lettre en forme de confession cinquante ans plus tard, alors qu'il commence à perdre la mémoire.
C'est cette circonstance particulière qui explique l'étrangeté de la narration, qui passe constamment du "je" au "'il" et saute d'une histoire à l'autre. C'est ce choix narratif qui fait le grand charme de ce gros roman qui se propose d'explorer l'histoire du mal. Car Adria comprend assez vite en grandissant que son père, antiquaire et collectionneur, était un très sale type, prêt à tout pour mettre la main sur un objet rare et précieux, exploitant sans vergogne la détresse humaine. A travers un objet symbolique, un objet d'art volé, ce précieux violon qui fait la fierté de la famille Ardevol, l'auteur nous balade de l'Inquisition à l'Holocauste, de l'Italie à la Slovénie. Des motifs se répètent, des parallèles se créent (entre un bourreau nazi et un inquisiteur fanatique).
Ce roman vertigineux qui parfois égare son lecteur cherche à expliquer l'origine du Mal. Il y est autant question de rédemption (possible) que de pardon (impossible quand le crime est trop grand) et de châtiment. On y interroge l'existence et la culpabilité de Dieu :
"Le coupable, c'est Dieu. Parce qu'il est impossible que le mal ne réside que dans la volonté du méchant. Il nous donne même l'autorisation de le tuer : morte la bête, mort le venin, dit Dieu. Et ce n'est pas vrai. Sans la bête, le venin demeure pendant des siècles et des siècles à l'intérieur de nous."
Et finalement, ce fameux violon illustre la seule chose susceptible de s'opposer au Mal : l'art.
"Une fois qu'on a goûté à la beauté artistique, la vie change. Une fois qu'on a entendu chanter le choeur de Monteverdi, la vie change. Une fois qu'on a contemplé Vermeer de près, la vie change. Quand on a lu Proust, on n'est plus le même."
Que dire de plus de ce merveilleux roman ? Il crée un monde parfaitement cohérent dont il est très difficile de sortir. J'ai l'impression d'avoir passé des années dans cet appartement de Barcelone en compagnie d'Adria, de ses livres, et de son violon.
Traduit du catalan par Edmond Raillard.
Actes Sud, 2013. - 780 p.