Chroniques - Bob Dylan
Je suis un poil trop jeune pour que Bob Dylan ait été l’idole de ma jeunesse, mais il reste pour moi une figure emblématique et un peu mystérieuse de ces folles sixties qui ont profondément modifié le XXe siècle. Mais attention ! Ceci n’est pas une autobiographie. Le contenu est conforme au titre : des tranches de vie plus ou moins longues, plus ou moins espacées retraçant quelques moments clés de la carrière de l’auteur de Blowin’ in the wind.
Bob Dylan, alias Robert Zimmerman est né en 1941 dans une ville industrielle du Midwest. Il revendique une enfance banale de petit américain moyen. Dès les années du lycée, la musique remplit sa vie. A vingt ans tout juste il débarque à New York avec pour tout bagage une guitare. Sa passion : la musique folk ; son idole : Woody Guthrie ; son rêve : chanter. Pendant des mois, il écume les caves de Greenwich, joue dans les bars, mène la vie de bohème. Il squatte chez des copains dont il dévore la bibliothèque : livres d’art, d’histoire, classiques, poésie, il engrange la matière de ses futures chansons. Pour l’heure, il n’envisage pas vraiment d’écrire ses propres chansons, se contentant d’interpréter celle des autres. Son tour viendra, il apprend… Jusqu’au jour où un producteur le remarque et lui propose d’enregistrer un disque...
Là il laisse son lecteur en plan en lui offrant un grand blanc (un peu frustrant quand même…) sur les années marquantes de sa carrière : la gloire, le succès, Woodstock et la Marche sur Washington. Et pour cause… On le retrouve dix ans plus tard, fatigué, reclus, salement désabusé. Entretemps les media et les fans ont fait de lui le porte-parole d’une génération, l’idole des jeunes, le meneur d’une révolte contestataire. Toutes ces étiquettes, Dylan les refuse et les rejette. Devenu père de famille, il rêve de mener une vie tranquille, alors qu’il est harcelé par ses fans qui voient un lui un nouveau gourou :
« J’avais une femme, des enfants, que j’aimais plus que tout, j’essayais de subvenir à leurs moyens, d’éviter les ennuis. Mais les ténors de la presse continuaient de faire de moi l’interprète, le porte-parole, voire la conscience d’une génération. Elle est bien bonne. Je n’avais fait que chanter des chansons nettes et sans détour, exprimant avec force des réalités nouvelles. Cette génération, je partageais fort peu de choses avec elle et je la connaissais encore moins. Depuis dix ans que j’étais parti de chez moi, je ne vociférais les opinions de personne. Mon destin et la vie me réservaient sans doute encore des surprises, mais représenter une civilisation, non. La vraie question était d’être fidèle à moi-même. J’étais plus un conducteur de bestiaux qu’un petit joueur de flûte. »
Pour casser cette image dans laquelle il ne se reconnait pas, Dylan change sans cesse de style, donnant à sa carrière des tournants hasardeux qui déroutent son public. Viennent alors les années de doute : il envisage à plusieurs reprises de mettre un terme à sa carrière : manque d’inspiration, mauvaises critiques, grave accident de moto… mais à chaque fois, il se retrouve devant une feuille de papier, un crayon à la main, à écrire des chansons…
A travers ces chroniques un peu nostalgiques, se dessine la personnalité, un peu secrète mais réellement attachante, d’un artiste à la fois fragile et déterminé, introverti et hypersensible, habité davantage par une œuvre que par un destin, un homme d’une grande simplicité et d’une modestie totale, qui rend hommagee à tous ceux qui l’ont inspiré.
« Ma route était semée d’embûches, je ne savais pas où elle me mènerait, mais je l’ai suivie. Un monde étrange s’ouvrait devant moi, un monde d’orage dans une boule de foudre. Beaucoup se sont trompés et n’ont jamais compris. J’ai foncé tout droit. La porte était grande ouverte. Une chose est sûre, ce n’est pas Dieu qui commandait, mais ce n’est pas le diable non plus. »
J'ai vraiment aimé ces chroniques, leur sincérité, et cette plume qui balance sans cesse du poétique à l'anecdotique. J'attends avec impatience la suite puisqu'il est prévu trois volumes.
Et parce que je ne m'en lasse pas :
Traduit de l’américain par Jean-Luc Piningre.
Folio, 2010. – 392 p.