Paradis (avant liquidation) - Julien Blanc-Gras
« De deux choses l’une. Soit le turquoise irréel du lagon a été retouché sur ordinateur par un fabricant de cartes postales, soit Dieu existe et il était au sommet de son art dans sa période bleue »
Il existe au bout du monde un pays dont personne (ou presque) n’a jamais entendu parler : les îles Karibati, qui se situent presque au croisement de l’équateur et de la ligne de changement de date, autant dire loin de tout. Des plages de sable blanc, des cocotiers, un lagon bleu azur, une température idyllique : le paradis ? Non, pas vraiment. Car ces îles, outre qu’elles sont très pauvres, sont situées à peine au-dessus du niveau de la mer et sont donc menacées d’engloutissement par le réchauffement climatique qui fait monter le niveau des océans. C’est ce qui a donné envie à Julien Blanc-Gras, journaliste, écrivain et voyageur, d’aller y faire un tour.
Ancienne colonie britannique sous le nom d' îles Gilbert, les Kiribati ont eu du mal à survivre à la décolonisation. Sans richesses naturelles, le pays vit dans une relative autarcie et manque de fonds pour lutter contre son ennemi n°1, la mer. Les plages et les maisons de pêcheurs sont régulièrement envahies par la marée. Les digues s’effondrent aussitôt construites, quand elles ne s’enfoncent tout simplement pas dans le sol trop meuble. A tel point que le président envisage sérieusement de déménager son peuple aux îles Fidji. L’incurie du gouvernement, la lenteur de l’administration s’ajoutent au manque d’hygiène (la plage sert de toilettes publiques), au manque d’eau potable, au déficit technologique (peu d’électricité, pas de téléphone portable, très peu d’internet)
« Aux Kiribati, la lenteur gouverne. »
Julien Blanc-Gras mène l’enquête avec le sérieux du journaliste d’investigation, la naïveté de l’étranger qui débarque, et l’humour de celui qui ne s’étonne de rien. Ce qu’il nous donne à voir pourrait paraître dramatique (jeunesse désabusée, pollution intense, consommation d’alcool massive), mais ça ne l’est pas, parce que les I-Kiribati (nom des habitants) sont des gens joyeux qui ne ratent jamais une occasion de faire la fête. Quand à l’auteur, il ne perd jamais son sens de l’humour et semble avoir une capacité de résistance aux imprévus (rendez-vous manqués, avion raté, panne de clim, etc…) à toute épreuve, à l’égal de son don d’empathie.
« Il n’est pas insensé de dire que le niveau de joie émanant du quotidien aux Kiribati est supérieur à celui d’une grande ville occidentale modelée par l’insatisfaction et noyée sous les divertissements. »
Ce qui m’a le plus plu dans ce récit, c’est que l’auteur y mêle avec bonheur le récit de voyage et l’enquête journalistique. Il nous montre comment notre mode de vie excessif, à nous autres occidentaux, met en péril la vie et le futur de gens qui ont beaucoup moins que nous et n’ont absolument aucune responsabilité dans le changement climatique. Quelle injustice, non ? L’auteur ne se prend jamais, jamais au sérieux et donne un ton très personnel à son récit, ne nous épargnant ni ses émerveillements, ni ses agacements, ni sa gueule de bois, ni ses coups de cœur. On sent qu’il a vraiment aimé ces îles et leurs habitants, qu’il s’y est fait des amis, et il arrive parfaitement à nous faire partager son ressenti.
L'avis de : Blablablamia, Sébastien, Hélène
Au Diable Vauvert, 2013 (Le Livre de poche 2014). – 251 p.