Canada - Richard Ford
Dell Parsons mène une vie des plus banales. En 1960, il a quinze ans et vit à Great Falls, Montana. La famille a atterri dans ce qu'elle considère comme un trou perdu à la suite d'une nième mutation du père, officier de l'US Air Force. Le père vient de quitter l'armée pour devenir vendeur de voitures, la mère est enseignante. Dell attend avec impatience la rentrée au lycée pendant que sa sœur jumelle ne rêve que de s'enfuir. Mais leurs parents vont se lancer dans une entreprise aussi catastrophique qu’absurde : braquer une banque, gâchant leur vie pour toujours et poussant leurs enfants à fuir pour échapper à l’orphelinat.
Le parti pris narratif de ce roman est singulier puisque l’auteur nous annonce dès la première phrase l’évènement crucial de l’histoire et ses conséquences néfastes. Aucun suspense, l’essentiel est ailleurs. Il est ici question de destin. Pourquoi et comment une vie bascule-t-elle ? Peut-on revenir en arrière ? A-t-on droit à une seconde chance ?
« Quelles que soient les évidences d'une vie, la personne qu'on croit être, ce qu'on a à son actif, ce dont on est fier, ce dont on tire sa force vitale, tout peut toujours arriver à la suite de tout et du reste. »
La première partie du roman raconte de façon extrêmement détaillée, pour ne pas dire chirurgicale, les dernières semaines de la vie « normale » de la famille Parsons, alors même que l’on sait que cette famille court à la catastrophe. Richard Ford nous fait entrer de façon intime dans la vie de cette famille et nous en découvrons les failles : les frustrations de la mère, les magouilles du père, ce couple mal assorti qui ne tient plus que la peur de la rupture. Le plus touchant est, bien sûr, ce jeune narrateur qui aime les livres, rêve d’apprendre, fait des projets…
Mais tout explose, et Dell se retrouve du jour au lendemain seul au Canada au milieu d’inconnus. La seconde partie est un contrepoint saisissant de la première. Rien de banal ici, rien de rassurant : une ville fantôme, un guide de chasse costaud et inquiétant qui se maquille comme une femme, un patron d’hôtel dandy et manipulateur. La frontière canadienne concrétise cette ligne invisible qui sépare le bien du mal, le licite de l’illicite ; le Canada devient la métaphore d'une illusoire liberté. Peut-on échapper à son passé ? Mais le jeune Dell nous surprend : il s’adapte, avec son intense désir d’apprendre, il fait de cette aventure une expérience, suivant le dernier conseil de sa mère :
« La vie est une forme qu'on nous tend vide. A nous de la remplir de bonheur. »
J’ai trouvé ce roman magnifique et extrêmement profond, par toutes les questions qu’il soulève, par tous les mythes américains qu’il démonte, et par ce magnifique personnage d’ado timide mais courageux qu’il nous offre.
« Ce qu'on fait, ce qu'on n'a pas fait, ce qu'on a rêvé de faire, un beau jour tout se rejoint. »
Traduit de l’américain par Josée Kamoun.
Editions de l’Olivier, 2013. – 478 p.
Disponible en Poche : Points, 2014.