Le soldat et le gramophone - Sasa Stanisic
Rentrée littéraire 2008
Est-ce que c’est moi ou est-ce cette rentrée littéraire qui était particulièrement sombre ? J’ai l’impression d’avoir beaucoup lu de romans sur le guerre et le deuil. Et ce premier roman s’inscrit dans la même lignée. Après l’Afghanistan et la Colombie, il m’a conduite en Yougoslavie.
Visegrad est un petit village bosniaque traversée par une rivière tumultueuse, la Drina. Tout aussi tumultueuse est la famille d’Aleksandar, riche de personnages hauts en couleur. La figure dominante de la famille est le grand-père Slavko, grand raconteur d’histoires et communiste pur et dur, toujours fidèle à la figure tutélaire du Maréchal Tito, bien après sa mort.
« Tout ce qui est important au monde, on le trouve dans le journal du matin, dans le Manifeste du parti communiste et dans les histoires qui nous font venir les larmes aux yeux ou éclater de rire, les deux en même temps de préférence. Telle était la sagesse qu'exprimaient les paroles de grand-père Slavko. »
Mais en ce mois d’août 1991, au moment où Carl Lewis bat un record de vitesse, le grand-père Slavko meurt d’une crise cardiaque et ça va être pour Aleksandar le début d’une inexorable dégringolade. Pourtant, chez les Krsmanovic, tout est prétexte à faire la fête : un enterrement, l’installation de toilettes ou la récolte de prunes. On rit, on boit et on danse. Mais une première faille apparaît : première insulte raciale et prise de conscience que le village est un mélange de deux communautés. Et bientôt la guerre ravage le pays et les soldats envahissent le village et la maison.
« Et ils se sont retrouvés menacés de redescendre en division inférieure. Mais cette année-là, personne n’est redescendu. C’est le pays qui est redescendu. Le foot, on s’en moquait. »
Aleksandar découvre qu’il a un « bon nom » : un nom serbe. Mais sa mère est bosniaque : mauvaise pioche. Ses parents décident de fuir en Allemagne. C’est là qu’Aleksandar va faire ses études mais il grandit avec le manque de son pays.
Mon seul vrai reproche envers ce roman est sa densité. Il eut sans doute mérité un vrai travail d’édition pour élaguer un peu toute la volubilité du texte et mettre en valeur la richesse de la plume qui joue sur plusieurs registres et l'intensité des émotions qui naissent de cette histoire foisonnante. C’est à la fois un récit de la guerre, de l’exil, de la famille, de la mémoire et du deuil. L’auteur, qui n’a que trente ans, a visiblement mis toute sa vie et toutes ses tripes dans son premier roman et il a visiblement hérité du talent de conteur de son grand-père. Sa plume est à l’image de cette rivière qu’il vénère : la Drina. Il nous entraîne dans son courant furieux, mais attention à la noyade !
L'avis de Kathel.
Traduit de l’allemand par Françoise Toraille.
Stock, 2008. – 376 p.