Le nouveau nom - Elena Ferrante

Publié le par Papillon

"Toute la vie, on aime des gens qu'on ne connaît jamais vraiment. "
 

Bien que n'ayant pas été totalement conquise par le premier épisode de la saga d'Elena Ferrante, je n'ai pas résisté au second, suite notamment aux billets enthousiastes de Delphine, Eva et Nicole. Nous retrouvons donc Lila, Elena et leur bande de copains exactement là où on les avait laissés à la fin de L'amie prodigieuse : au mariage de Lila, qui découvre que son mari l'a déjà trahie en offrant la paire de chaussures qu'elle a dessinées aux frères Solara, deux mafieux qu'elle déteste. Et ce n'est que le début du désenchantement de la vie conjugale. Heureusement, ses difficultés à tomber enceinte vont inciter son mari à l'envoyer à la mer, l'occasion de passer l'été à Ischia avec Lenù, laquelle espère bien revoir le beau Nino dont elle est amoureuse depuis l'école primaire, et qui est maintenant étudiant, un statut qui la fait rêver.

"Il était tellement difficile de s'y retrouver, et il était tellement difficile de ne violer aucune des règles masculines, si compliquées !"

Ce deuxième tome est plus intéressant que le précédent car l'auteure y approfondit la psychologie de ses personnages, qui ne sont plus des petites filles subissant leurs vies, mais des adultes bien décidées à se tracer un destin, ce qui ne va pas être facile dans cette Italie machiste des années 60. Et elle cerne très bien toute l'ambivalence des amitiés féminines : confidences et jalousies, secrets et mensonges, offrandes et traîtrises. Mon problème avec ce roman tient au fait que c'est Elena qui tient la plume, mais qu'elle attribue à Lila le rôle principal de l'histoire. Or Lila n'est vraiment pas un personnage sympathique. Certes, elle est douée, et on comprend vite quelle peut réussir quasiment tout ce qu'elle entreprend : dessiner des chaussures, vendre de la charcuterie ou transformer un banal portrait de mariage en oeuvre d'art décalée. Mais quelle chipie manipulatrice ! Et comme son amie semble naïve à côté d'elle... Lila se saisit comme une rapace de tout ce qui lui fait envie, alors qu'Elena attend bien poliment que le vie ait la bienveillance de lui donner ce qu'elle désire. 
 
"Mais qu'est-ce qui s'est passé quand tu es venue au monde ? Un accident, un hoquet, une convulsion, ou bien la lumière s'est éteinte, une ampoule a éclaté, la bassine d'eau est tombée de la commode ? Il a bien dû se passer un truc pour que tu naisses comme ça, tellement insupportable et différente des autres !"
 
Dans sa vie comme dans sa narration, Elena s'efface toujours devant son amie, alors que moi c'était le destin d'Elena qui m'intéressait, plus que celui de Lila. Car l'un des thèmes du roman, me semble-t-il, c'est la possibilité d'une ascension sociale dans une Italie en pleine expansion économique et sur laquelle règne la mafia. Et ces deux jeunes filles font deux choix très différents. Pour sortir de la misère, Lila se marie très jeune avec un jeune homme riche, qui lui offre tout ce dont on peut encore rêver dans ces années-là : appartement moderne, belle voiture, télévision et jolies robes. Au contraire, Elena s'accroche à ses études. Elle comprend très vite que l'argent ne suffit pas. La culture et la connaissance vont lui donner l'opportunité de franchir la mur de verre qui sépare les classes sociales, une barrière qui s'incarne dans l'usage d'une langue différente dans chaque quartier, dialecte napolitain d'un côté, italien de l'autre. Lila incarne pour moi le piège que peut représenter le mariage, alors que la libération d'Elena viendra du savoir.
 
"Je porte toujours sur moi les mêmes hardes, mais j'ai réussi mon baccalauréat et je vais faire mes études à Pise. J'ai changé non pas en apparence, mais en profondeur. Les apparences suivront bientôt, et ce ne seront pas que des apparences."
 
Donc, tout ce qui fait la vie de Lila, mesquineries commerciales, disputes conjugales et rêves avortés, ne m'a guère intéressée, alors que j'aurais aimé en savoir plus sur la vie d'étudiante de Lenù. En plus, c'est l'Italie du Sud : on crie, on se dispute, on se fâche et on se tape dessus, tout ceci étant parfois un peu épuisant pour le lecteur. Mais le parcours en contrepoint de ces deux jeunes filles reste tout à fait original, et je reconnais que l'auteure a le talent de glisser un subtil rebondissement à la fin de chaque épisode pour inciter le lecteur à se jeter sur le tome suivant. Bien joué.
 
"C'était difficile de la quitter, j'avais toujours cette vieille conviction que, sans elle, rien de vraiment important ne pourrait jamais m'arriver, et pourtant j'avais besoin de m'échapper."
 
 
Traduit de l'italien par Elsa Damien.
Folio, 2017. - 640 p.
 
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M
Le premier m'attend toujours sur une étagère, j'espère qu'il m'accrochera suffisamment pour me donner envie de poursuivre !
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P
En fait, j'étais un peu mitigée sur le premier, plus séduite avec le second et totalement emballée par me troisième (billet à venir), donc, oui,ça vaut le coup de s'accrocher sur le premier. Cela dit, ça se lit très bien.
V
je suis en plein dedans. J'aime bien même si j'y trouve des longueurs et que Lila m'agace parfois (en fait, elle me rappelle une copine d'enfance!)
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P
Oui, elle est crispante !!! Mais la relation entre les deux est vraiment intéressante.
L
Tu n'es pas la première que je lis à considérer qu'il est meilleur que le premier tome. J'ai hâte de le découvrir, du coup !
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P
Et je peux même te dire que le 3e est encore meilleur !
H
Mon tome préféré jusqu'ici (j'attends le 4ème...)
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P
Je suis dans le 3e et jusqu'ici je trouve que c'est le meilleur des trois.
F
Bravo d'avoir lu le deuxième tome si tu n'as pas tant apprécié le premier !<br /> Si la thématique de l'ascension sociale t'intéresse, tu dois absolument lire le troisième tome car il montre toute la complexité cette thématique (notamment quand on est une femme).
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P
Je suis en train de le lire ! Et en effet j'aime beaucoup tous les thèmes qu'il déploie.
E
ah je suis ravie que tu l'aies lu et apprécié! j'aime beaucoup le contraste de caractères et de chemins de vie entre Elena et Lila...tu verras dans le 3e tome que ce fil conducteur est toujours bien présent, avec en plus le contexte politique très présent de l'Italie des années 70 et les problématiques de deux jeunes femmes ayant une trentaine d'année...j'ai hâte de lire le 4e tome, car le 3e se finit sur un très gros cliffhanger!
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P
C'est un peu sa spécialité le cliffhanger final ! Je suis dans le 3e et en effet c'est un plaisir de les retrouver et de voir comment elles s'inscrivent dans le contexte de révolte de l'époque.
N
Je suis comme toi, je n'ai pas résisté au second malgré mon avis mitigé après la lecture du premier tome... Curieuse je suis, il m'attend ! ;-)
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P
Ceux qui disent que le second est meilleur que le premier ont raison ! ;-)
S
Je viens de le finir et j'ai rédigé un brouillon de billet hier soir. Comme toi je préfère Elena mais peut-être est-ce parce que nous vivons l'histoire par son prisme ? <br /> Leur histoire, c'est un peu "je t'aime moi non plus" mais elles s'enrichissent mutuellement, au fond, plus qu'elles ne se font du mal.<br /> J'ai beaucoup aimé ce deuxième tome. J'ai eu du mal à laisser les deux filles et j'ai hâte de les retrouver dans le 3ème tome.
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P
Oui, il y a beaucoup de facheries et de ruptures, mais Elena se rend compte qu'elle ne serait sans doute pas la même sans son amitié pour Lila. C'est très intéressant de les voir devenir adultes et comment leurs vies divergent très vite.
N
Tiens c'est amusant, je n'ai pas eu l'impression d'un déséquilibre entre les 2 personnages, j'ai l'impression de les suivre de façon égale, d'autant qu'on a sans arrêt des éléments qui viennent étayer la psychologie de chacune des jeunes filles et c'est cette opposition permanente et cette évolution parallèle qui retient l'attention je trouve... Je ne vais pas tarder à plonger dans le tome 3 (ça fait 2 mois qu'il est sur ma table et que je résiste ;-) ).
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P
J'ai trouvé que la narratrice passait un peu vite sur ses années d'étudiante, alors que c'était quand même une aventure pour elle, alors qu'elle donnait beaucoup de détails sur ce qui se passait à Naples pendant ce temps, comme si Naples restait le centre de gravité de l'histoire.
A
Je ne vais peut-être pas tarder à commencer le premier, tous vos billets me titillent trop.
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P
N'attens pas trop sinon après tu n'en auras plus envie, tu auras l'impression de les avoir trop vus partout !