Tout dort paisiblement sauf l'amour - Claude Pujade-Renaud

Publié le par Papillon

"J'étais muni d'une foi presque téméraire en ma capacité de pouvoir toutes choses sauf une, devenir un oiseau libre, ne fût-ce qu'un seul jour..."

Kierkegaard

 

Tout dort paisiblement sauf l'amour - Claude Pujade-Renaud

Il adorait les chevaux, les oiseaux et Mozart, mais n'étais pas poète. Il étudiait la philosophie mais ne se voulait pas philosophe. Il croyait profondément en Dieu mais a toujours raillé la religion. Il a beaucoup écrit, mais professait que c'est en marchant que l'on pense le mieux. Cet homme pétri de contradictions s'appelait Søren Kierkegaard et est aujourd'hui considéré comme l'un des grands penseurs de son temps, l'un des fondateurs de l'existentialisme.

 

En 1840 à Copenhague, Kierkegaard s'était fiancé avec une jeune fille de la bourgeoisie danoise, Regine Olsen, avant de rompre ses fiançailles un an plus tard, brutalement et sans explication. Quinze ans après, Regine, devenue l'épouse d'un haut fonctionnaire et heureuse en ménage, apprend la mort de son premier amour qui lui avait brisé le cœur, et en est toute bouleversée. C'est l'occasion pour elle de renouer avec la famille Kierkegaard et de se replonger dans l'œuvre du philosophe danois, cherchant toujours une réponse à cette question : pourquoi Kierkegaard a-t-il rompu leurs fiançailles ?

 

Le récit est pris en charge tour à tour par Regine, son mari ou les neveux de Kierkegaard, dessinant un portait composite du grand homme. Laisser la parole à Regine est aussi une manière pour Claude Pujade-Renaud de dire son admiration pour le philosophe danois, car Regine revient sur le passé et interroge les textes en s'adressant directement à Kierkegaard à la seconde personne : "Pour toi se remémorer était plus intense que vivre." C'est aussi l'occasion de fouiller l'âme de cet homme complexe, dont toute la vie a balancé entre le tragique et l'ironique, qui alternait les phases où il était gai, pétillant et malicieux, et les périodes où il devenait sombre, tourmenté et angoissé. Sa famille était tellement frappée par la mélancolie et par la mort précoce que Kierkegaard était convaincu de mourir avant l'âge de trente-trois ans, comme la plupart de ses frères et sœurs. Il a vécu jusqu'a quarante-deux ans.

 

Ne connaissant pas grand-chose à l'œuvre de Kierkegaard, j'ai sans doute perdu une partie de la saveur de ce portrait que j'ai lu comme une belle histoire d'amour impossible. Il semble que Kierkegaard ait compris assez vite qu'il ne pouvait pas épouser Regine, qu'il devait choisir entre l'écriture ou la vie, et que l'écriture était plus importante. Mais il a aimé cette femme jusqu'à la fin de sa vie, faisant d'elle son unique héritière. Il avait même espéré qu'elle ne se marierait jamais, lui restant fidèle pour toujours, et fut très blessé quand elle le fit. Il apparaît évident aussi que Kierkegaard avait senti que ni l'amour ni le mariage ne le guériraient de sa mélancolie congénitale, et que l'amour vrai ne peut de toute façon se complaire dans la vie conjugale. Et c'est peut-être dans la souffrance liée à cette rupture que le philosophe a puisé l'essence de son œuvre.

 

"Une façon de me dire : je ne peux pas t'aimer dans la réalité, tu dois demeurer dans la mouvance fluide des métamorphoses, de la musique et de la mémoire ?"

 

Et comme Kierkegaard est rapidement devenu très célèbre et que Copenhague est une toute petite ville, Regine est devenue une sorte d'emblème mythologique : la fiancée abandonnée du grand homme, et la figure centrale de ce lumineux roman, qui donne furieusement envie de lire le philosophe danois.

 

"Tu compares le lecteur à un oiseau picorant ce qui fait sens pour lui, ou plutôt donnant sens à ce qui est écrit et n'est jamais figé puisque, selon toi, ne saurait exister une signification unique imposée par l'auteur, le lecteur est créateur."

 

[Conseillé par ma bibliothécaire]

 

Actes Sud, 2016. - 308 p.

 

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D
j'ai raté la publication de celui là mais je vais me rattraper
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P
Je pense que tu vas aimer, c'est un portrait très subtil.
L
J'ai plusieurs romans de cette auteure dans ma PAL (dont celui sur Saint Augustin à travers la voix de sa femme, aussi). Elle semble user fréquemment de la polyphonie et du regard détourné pour dire les figures marquantes du passé (j'avais beaucoup aimé son roman sur Sylvia Plath comme cela). Je note donc, évidemment !
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P
J'avais été moins séduite sur celui sur Sylvia Plath, celui-ci est très réussi, très émouvant. Il faut absolument que je me procure celui qui parle de Saint Augustin.
Y
Je l'ai lu cet été et j'ai beaucoup aimé :-) en meme temps j'aime l'auteure :-)
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P
Très jolie plume et une façon originale de raconter une histoire.
G
Comme Aifelle, je suis tentée par le roman, moins par l'œuvre du philosophe...
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P
En tout cas, ça permet de le connaître un peu mieux.
D
Je n'ai jamais lu Kierkegaard... Est-ce un manque d'ouverture de ma part, j'avoue ne pas être attirée plus que cela par cet ouvrage.
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P
C'est un beau portrait, je trouve, assez original.
A
J'aime l'écriture de Claude Pujade-Renaud et je ne connais pas la vie de Kierkegaard, alors pourquoi pas, même si je doute d'avoir envie de lire son œuvre après ...
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P
Non, tu n'est pas obligée de lire Kierkegaard, ça a l'air assez difficile, pourtant elle évoque pas mal de ses textes et ça m'a vraiment plu.