Purity - Jonathan Franzen
"Je suis écrivain, ma belle. Exprimer des idées est ce pour quoi je suis chichement payé et critiqué sans pitié."
Pureté comme innocence, pureté comme transparence, pureté comme franchise et honnêteté : où est la pureté à l'heure où tout le monde s'exhibe sur les réseaux sociaux en mode idéalisé ? Telle est la question que pose l'auteur dans ce gros roman par le biais de trois personnages très emblématiques de l'époque numérique, un roman dont le fil rouge est pourtant le mensonge.
"Il y a l'impératif de garder les secrets, et celui de les faire connaître. Comment sais-tu que tu es un individu distinct des autres ? En gardant certaines choses pour toi."
Purity incarne l'innocence de la jeunesse mais a déjà si peu d'illusions qu'elle préfère se faire appeler Pip, comme le jeune héros des Grandes espérances. Et Pip a un problème. Elle commence sa vie professionnelle avec une dette de 130 000 dollars (le prix de ses études universitaires) alors qu'elle gagne un salaire de misère dans l'agence de développement durable où elle officie comme téléprospectrice. Pour rembourser cette dette elle ne voit qu'une solution : retrouver son père, dont elle ne sait rien. En effet, la mère très névrosée de Pip, qui entretient avec sa fille une relation exclusive et fusionnelle, a toujours refusé d'évoquer la question. Elle a vaguement raconté une histoire de mari brutal à laquelle Pip n'a jamais donné foi. Premier secret, premiers mensonges. Et voilà que Pip est recrutée par le Sunlight Project, dirigé par le mystérieux et très charismatique Andreas Wolf, mi-hacker et mi-lanceur d'alerte, qui s'est donné pour mission de dévoiler les secrets et turpitudes des états, des entreprises et de tous ceux qui ont quelque chose de louche à cacher. Pip y voit l'occasion rêvée de retrouver la trace de son père. Après un petit séjour en Bolivie où le Project s'est installé pour échapper aux poursuites judiciaires auxquelles ses activités l'exposent, Pip sera envoyée à Denver pour espionner Tom Aberant, journaliste d'investigation qui défend une version noble du journalisme et dirige un magazine en ligne indépendant. Quelle raison peut bien pousser Andreas (la transparence) à suspecter Tom (la franchise et l'honnêteté) ?
"Il semblait qu'Internet était plutôt gouverné par la peur : la peur de l'impopularité et de la ringardise, la peur de passer à côté de quelque chose, la peur du lynchage ou de l'oubli."
J'ai mis un petit moment à comprendre où l'auteur voulait en venir, car il alterne plusieurs voix narratives, apparemment très distinctes. Puis, peu à peu les morceaux du puzzle ont commencé à s'emboiter pour révéler la mystification de toute l'affaire. Sauf que c'est bourré de longueurs (si j'étais éditrice, je crois que je ne cesserais de répéter aux écrivains : "coupez, coupez, coupez !") qui noient complètement le propos initial. Tant que l'action se déroule aux États-Unis, ça avance plutôt bien, mais dès que l'on se retrouve en Allemagne de l'Est (pays d'origine à la fois d'Andreas et de Tom), ça devient pesant et laborieux comme cette bonne vieille architecture soviétique. L'auteur nous plonge dans les années quatre-vingt et nous inflige l'enfance d'Andreas, puis de Tom, avec une abondance de détails, pas forcément indispensables. Sauf qu'il n'est pas du tout anodin que le roman prenne ses racines dans un pays de l'Est d'avant la chute du mur, puisque Franzen établit un parallèle un peu risqué entre le totalitarisme socialiste (tout le monde sous surveillance) et le totalitarisme d'internet (tout le monde sous surveillance) : "En remplaçant le socialisme par les réseaux, on obtenait Internet", allant jusqu'à comparer les jeunes loups de la Silicon Valley à des apparatchiks voulant imposer leur modèle de société.
"La dissolution de l'individu dans la masse. Le cerveau réduit par la machine à des boucles répétitives, la personnalité privée, à une généralité publique : c'était comme si on était déjà mort."
Bien sûr, on découvre que dans cette histoire personne n'est pur et tout le monde a un secret à cacher, le summum étant atteint par Andreas Wolf, qui est une imposture ambulante. Sauf que la question d'Internet et de la société connectée est quelque peu noyée sous le vrai propos du roman, le seul sujet qui intéresse Franzen depuis toujours : la famille. Et là, je dois dire qu'il n'y va pas avec le dos de la cuillère, accumulant les personnages cinglés et les relations tordues. Tous les liens affectifs de ce roman sont vécus sur le mode de l'aliénation, que ce soit entre Pip et sa mère ou entre Andreas et la sienne, entre Tom et sa femme ou entre Andreas et la sienne. Chez Franzen, l'amour tourne vite au cauchemar, le mariage est un piège, l'amitié une duperie et le sexe un rapport de force assez malsain. Il vous donne juste envie d'étrangler vos parents, vos enfants, vos amis et votre conjoint, et d'aller vous planquer seul au fond des bois (et sans wifi).
Bref, j'ai pas aimé.
Clara et Nicole sont plus enthousiastes que moi.
Du même auteur : Freedom
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Olivier Deparis.
Éditions de l'Olivier, 2016. - 752 p.