Les réputations - Juan Gabriel Vasquez
"Les grands caricaturistes n'attendent d'applaudissements de personne, ils ne dessinent pas pour ça : ils dessinent pour déranger, incommoder, être insultés."
Mallarino est un célèbre caricaturiste colombien, si célèbre et si adulé que la ville de Bogota s'apprête à lui rendre un hommage public pour couronner ses quarante ans de carrière et presque dix mille dessins. Mais Mallarino sait que le gloire et la renommée sont transitoires et qu'il sera un jour oublié comme le furent tous ses grands prédécesseurs. Il se penche sur son passé et revoie le jeune homme qu'il fut, qui rêvait de devenir peintre et pour qui la caricature n'était qu'un job alimentaire, jusqu'au jour où son talent imposa ses dessins quotidiens en première page du plus grand quotidien national.
"Ses caricatures politiques l'avaient élevé au rang que Rendon occupait au début des années 1930 : celui d'une autorité morale pour la moitié du pays, d'ennemi public numéro un pour l'autre moitié et, aux yeux de tous, d'homme capable de faire abroger une loi, contrarier le jugement d'un magistrat, renverser un maire ou menacer sérieusement la stabilité d'un ministre avec pour seules armes du papier et de l'encre de Chine." (p. 17)
Une jeune femme sortie du passé va rappeler un vieux souvenir à Mallarino, un moment où il avait exercé son pouvoir sur un homme politique douteux. Car c'est un pouvoir que détient le caricaturiste, un pouvoir qui génère parfois des menaces de mort, mais un pouvoir qui peut aussi rendre ivre et avoir des conséquences fâcheuses.
Il est question dans ce roman de mémoire qui s’efface ou de souvenir trompeur, mais surtout du pouvoir des media et de la facilité qu’il y a à détruire une réputation.
J’avais bien aimé le précédent roman de cet auteur, Le bruit des choses qui tombent, qui déjà évoquait la mémoire et les souvenirs, dans une Colombie qui n’en finit pas de vouloir effacer son passé, quitte à fabriquer une génération d’amnésiques. Mais là, il m’a manqué un je-ne-sais-quoi pour que je sois vraiment emballée, un peu plus de profondeur, un peu moins de thèmes juste survolés, même si le roman est empreint d’une douce mélancolie qui n’est pas désagréable.
Delphine-Olympe n'a pas aimé du tout.
Traduit de l'espagnol (Colombie) par Isabelle Gugnon.
Seuil, 2014. - 188 p.