Vingt-quatre heures de la vie d'une femme - Stefan Zweig

Une pension de famille sur la Riviera au tout début du XXe siècle, petit monde clos et bourgeois. Débarque un nouveau pensionnaire, à la fois beau, élégant et aimable. En quelques heures, il parvient à séduire tous les membres de cette petite société : hommes, femmes et enfants. Puis il s’absente par le train du soir. Le lendemain, une femme manque à l’appel. On pense à un accident et on lance des recherches, avant de découvrir que cette femme s’est tout simplement enfuie avec le bel inconnu. La situation provoque à la fois un scandale et une vive discussion parmi les pensionnaires : une femme peut-elle vraiment abandonner sur un coup de tête un mari et des enfants pour un homme parfaitement inconnu ? Seul un jeune homme prend la défense de la fugueuse en évoquant la passion et le coup de foudre, alors que tous les autres voient dans cette escapade une preuve d’immoralité. Une vieille dame anglaise va alors entreprendre de raconter sa vie à ce jeune homme, car elle aussi a vécu une aventure similaire…
Stefan Zweig utilise ici son procédé littéraire favori, celui de l’enchâssement, du récit dans le récit, de la confession, procédé qui apparaît ici très psychanalytique, dans sa forme de thérapie par la parole. Une femme se libère de son passé en le confiant à l’oreille bienveillante d’un inconnu.
« Vieillir n’est, au fond, pas autre chose que n’avoir plus peur de son passé. »
Et Stefan Zweig reprend aussi son thème favori, celui de la passion dévorante. Ici deux passions s’opposent : passion amoureuse et passion du jeu. Je n’ai cependant pas vraiment cru à cette passion, j’ai eu beaucoup de mal à imaginer qu’une femme de ce siècle-là puisse s’abandonner de la sorte, faisant fi de son éducation, de ses principes, de toute sa vie. Déception toute relative tant Stefan Zweig est un tel génie littéraire. J’ai une fois de plus été complètement subjuguée par son style parfaitement ciselé et par son talent à écrire une histoire si dense en un format si court. De cet auteur, je crois que je pourrais lire n’importe quoi tant sa plume m’enchante.
Un extrait
« C’étaient des mains d’une beauté très rare, extraordinairement longues, extraordinairement minces, et pourtant traversées de muscles très rigides – des mains très blanches, avec, au bout, des ongles pâles, nacrés et délicatement arrondis. Eh bien, je les ai regardées toute la soirée – oui, regardées avec une surprise toujours renouvelée, ces mains extraordinaires, vraiment uniques –, mais ce qui d’abord me surprit d’une manière si terrifiante, c’était leur fièvre, leur expression follement passionnée, cette façon convulsive de s’étreindre et de lutter entre elles. Ici, je le compris tout de suite, c’était un homme débordant de force qui concentrait toute sa passion dans les extrémités de ses doigts, pour qu’elle ne fît pas exploser son être tout entier. Et maintenant… à la seconde où la boule tomba dans le trou avec un bruit sec et mat, et où le croupier cria le numéro… à cette seconde les deux mains se séparèrent soudain l’une de l’autre, comme deux animaux frappés à mort par une même balle. »

Traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Bournac et Alzir Hella.
Le Livre de poche, 2009 (1ere édition 1924). – 125 p.