Le garçon qui voulait dormir - Aharon Appelfeld
"Nous sommes restés ensemble, même lorque nous avons été séparés un instant. Les camps ont existé, ils ont disparu, mais nous, nous sommes restés ensemble."
Erwin est un adolescent juif qui a survécu à la Shoah. On ne sait pas trop comment, d'ailleurs. "Le ghetto, le camp, la forêt", voilà à peu près tout ce qu'il en raconte. Et depuis la fin de la guerre, il dort. Le sommeil lui permet de retrouver ses parents par le biais des rêves. Porté par d'autres réfugiés sur des milliers de kilomètres, il arrive à Naples, où il se réveille plus ou moins, et s'enrôle dans une association sioniste qui se propose d'envoyer de jeunes réfugiés dans les colonies juives de Palestine.
Erwin doit suivre un entraînement quasi militaire, apprendre une nouvelle langue, l'hébreu, et adopter un nouveau prénom. Tous ces changements lui causent beaucoup d'angoisses, dont il s'ouvre aux fantômes de ses parents qu'il croise dans ses rêves : peut-on abandonner sa langue maternelle sans trahir le passé, peut-on renoncer à son prénom de naissance sans trahir sa famille ? Erwin est déchiré entre son désir de "retourner à la maison", c'est-à-dire de rester fidèle au passé et aux absents, et celui de commencer une nouvelle vie. Il a très peur d'oublier. Alors il rêve, engage de longues conversations avec père, mère, oncles et tantes, et revisite les lieux lumineux de l'enfance dans les Carpates.
Dans ce très beau roman, Appelfeld utilise sa propre histoire pour aborder la question de la mémoire et de la fidélité au passé, et interroge le rôle de la langue dans la construction de l'individu. Autour d'Erwin, tous les camarades du kibboutz cherchent le chemin de la reconstruction, qui par la prière, qui par l'art, qui par la solitude. Il y a même celui qui se suicide, devant l'impossibilté d'une nouvelle vie. Quant à Erwin devenu Aharon, c'est par le biais d'une douloureuse blessure de guerre qu'il découvrira sa voie, et sa voix, celle qui lui permettra d'avancer vers son futur tout en donnant toutes sa place à son passé et à ses racines, autant familiales que géographiques.
"J'ai quitté le chemin du hasard et je me dirige vers mon but."
Dans une écriture simplifiée à l'extrême, Appelfeld dessine un univers onirique, symboliste et chargé de sens, et signe l'un des romans les plus émouvants que j'ai lu depuis longtemps.
Traduit de l'hébreu par Valérie Zenatti.
Editions de l'Olivier, 2011 (Points, 2012). - 297 p.