Habibi - Craig Thompson
Rarement roman graphique aura aussi bien mérité son nom que ce (très) gros album de Craig Thompson qui mêle si harmonieusement texte et dessin, image et histoire, offrant au lecteur plusieurs niveaux de lecture.
L'auteur nous y raconte l'histoire de Dodola et Zam, deux orphelins nés dans un désert quelconque, un de ces lieux où la vie se résume à une combat quotidien contre la violence des éléments et des hommes. Entre Dodola et Zam va se créer un lien d'amour indestructible, seul susceptible de les protéger de la violence du monde.
Dodola est encore une petite fille quand ses parents la vendent à un scribe qui en fait son épouse. Dans son malheur, Dodola trouve une consolation : son meri lui apprend à lire, à écrire et lui conte des dizaines d'histoires tirées du Coran et de la Bible. Quand son mari est assassiné par des voleurs, Dodola est emmenée au marché aux esclaves. Elle y rencontre le petit Zam, abandonné par sa mère, qu'elle va aimer comme son fils. Les deux enfants trouveront refuge dans l'épave d'un bateau échoué sur les dunes et tenteront de survivre.
Epoque indéfinie, lieu imaginaire, l'histoire de Zam et Dodola nous est narrée tantôt sur le mode onirique, voire fantastique, tantôt sur un mode réaliste. Du marché aux esclaves au harem du sultan, de la piste des caravanes à l'usine d'embouteilage d'eau, elle nous entraîne des mystères de l'orient aux turpitudes du mode moderne. La narration, par une succession d'ellipses et de retours en arrière, ménage sans arrêt des surprises au lecteur. Elle est entrecoupée des récits mythiques que Dodola raconte à Zam. Car, de sa première expérience traumatisante (le mariage à huit ans), la jeune femme a tiré deux enseignements : le pouvoir des histoires, le pouvoir de la sensualité. De son corps, que les hommes convoitent, elle a fait un instrument de plaisir qui les rend fous ; par les histoires, elle s'évade quand elle veut, quand la vie devient trop sombre. Double liberté pour cette ancienne esclave.
Habibi, c'est une histoire d'amour qui va permettre aux deux héros de transcender toutes les horreurs de leur vie : séparation, enfermement, mutilation, deuil, exploitation, humiliation... Habibi, c'est aussi un récit très ésotérique, dont le graphisme, tout en noir en blanc, s'inspire beaucoup de la calligraphie arabe, un récit dont chaque case est un petit tableau foisonnant de détails et truffé de symboles, un récit en 9 chapitres comme les neuf cases du carré magique qui contient tous les mystères de la vie.
Un roman époustouflant de culture, de poésie, de beauté et de sensibilité.
Casterman, 2011. - 670 p.