Dans les forêts de Sibérie - Sylvain Tesson
Rentrée littéraire 2011.
Grand voyageur, Sylvain Tesson décide un jour de faire l'expérience du voyage immobile. C'est à la fois un rêve (que je partage) et un défi (que je ne tenterai pas) : passer six mois dans une cabane au milieu de nulle part. C'est au bord du lac Baïkal, en plein milieu de la forêt sibérienne, qu'il espère trouver "l'espace, le silence et la solitude", soit tout ce qui a disparu de nos villes modernes.
Par un matin glacial de février, il s'installe donc dans une bicoque de trois mètres de côté, entre lac et montagne, avec pour seule compagnie des cigares et de la vodka, des carnets et des livres (poésie, philosophie, nature writing et polars). « Quand on se méfie de la pauvreté de sa vie intérieure, il faut emporter de bons livres : on pourra toujours remplir son propre vide. »
Le plus proche voisin est à trois jours de marche, la température extérieure est de -30°C, la lac dort sous un mètre de glace et le paysage est noyé sous la neige. « Le paysage se révèle, intense. Le pays me saute au visage. C’est fou ce que l’homme accapare l’attention de l’homme. La présence des autres affadit le monde. »
Dans cette immensité déserte, la vie se réduit à ses fonctions de base : dormir, se chauffer, se nourrir. C'est l'école du renoncement et du dépouillement. Sylvain Tesson organise ses journées autour de ses activités intellectuelles : lire, écrire , et des travaux manuels nécessaires à sa survie : couper du bois, percer un trou dans la glace pour puiser de l'eau et pêcher. Il apprivoise le temps : « Je suis libre de tout faire dans un monde où il n’y a rien à faire » et s'initie à la contemplation : « L’œil ne se lasse jamais d’un spectacle de splendeur. Plus on connaît les choses, plus elles deviennent belles. »
Mais il reste un voyageur, un marcheur, un grimpeur, qui explore le monde qui l'entoure par tous les moyens possibles : à pieds ou à la jumelle, en raquettes ou en patins, seul ou avec un chien, crapahutant toujours plus loin, grimpant toujours plus haut. « Dans la vie, il faut trois ingrédients : du soleil, un belvédère, et dans les jambes le souvenir lactique de l’effort. »
J'ai aimé chaque page de ce livre, que je conseille à tout le monde, même à ceux qui ne sont pas spécialement avides de nature sauvage et de grands espaces. J'en ai dégusté et savouré chaque ligne. D'abord, parce que Sylvain Tesson a une vraie plume. Ce récit, en forme de journal intime, est tour à tour drôle, poétique et philosophique, toujours vivant, jamais ennuyeux. L'auteur nous surprend à chaque page, en apprivoisant une mésange ou en écrivant des haïkus dans la neige, en patinant au clair de lune ou en allumant un feu avec une page du Neveu de Rameau. Il n'est ni mystique, ni militant, ni donneur de leçons, mais c'est un fin observateur du monde sur lequel il porte un regard bienveillant : regard curieux sur la faune et la flore, regard émerveillé sur la beauté de la nature, regard amusé sur les russes et leur goût du "n'importe quoi", regard critique sur la société qui est la nôtre.
C'est un livre formidable qui contient tout ce que j'aime dans la vie.
Gallimard, 2011. - 267 p.
Disponible en poche :
Foliio, 2013. - 304 p.