Le joueur d'échecs - Stefan Zweig

Publié le par Papillon


zweig2.jpgSur un paquebot qui va de New York à Buenos-Aires, voyage un célèbre joueur d’échecs. Plusieurs passagers vont vouloir se mesurer à lui, pour diverses raisons. Deux récits enchâssés nous racontent par ailleurs l’histoire de ce champion d’échecs, Czentovic, un homme fruste et antipathique, et celle de l’un de ses adversaires, M. B., un aristocrate viennois qui vient de passer une année dans une prison de la Gestapo.

C’est toujours un grand plaisir de retrouver Stefan Zweig et cette longue nouvelle est une merveille du genre : l’auteur parvient à donner plusieurs niveaux de lecture et à multiplier les thèmes en quelques dizaines de pages.

Il y a tout d’abord une réflexion sur le jeu d’échecs, qui est autant un art subtil qu’un jeu énigmatique. Vont ensuite apparaître plusieurs joueurs qui illustrent chacun une facette du jeu. La narrateur joue pour le plaisir, le riche ingénieur MacConnor joue uniquement pour gagner et se révèle très mauvais joueur quand il perd, le champion est un joueur professionnel et, enfin, pour M. B. le jeu est une passion destructrice. Ce thème du jeu pathologique avait d’ailleurs déjà été exploité par Stefan Zweig dans Vingt-quatre heures de le vie d’une femme.

Mais l’essentiel de l’intrigue repose sur l’opposition de deux caractères :d’un côté, Czentovic, la brute inculte, à demi analphabète, qui a reçu un don pour jouer aux échecs et qui l’exploite de façon commerciale pour gagner sa vie tout en traitant le reste du monde avec arrogance : « une machine à jouer » :

« Et puis, n’est-il pas diablement aisé, en fait, de se prendre pour un grand homme quand on ne soupçonne pas le moins du monde qu’un Rembrandt, un Beethoven, un Dante ou un Napoléon ont jamais existé ? »

Face à lui, M.B, homme fin et cultivé, victime d’un emprisonnement arbitraire et soumis à la torture mentale, qui apprend à jouer pour ne pas devenir fou puis qui se met à jouer de façon si obsessionnelle qu’il manque de devenir fou :

« La joie que j’avais à jouer était devenue un désir violent, le désir une contrainte, une manie, une fureur frénétique qui envahissait mes jours et mes nuits. »

Ces deux personnages illustrent deux faces de l’humanité : c’est la bestialité inculte contre l’humanisme et l’intelligence. Si on replace ce texte dans son contexte historique, c’est-à-dire peu après l’invasion de l’Autriche par Hitler, on devine bien que Czentovic est une figure de la brutalité nazie face au raffinement de la vieille Europe. La partie finale qui se joue entre les deux hommes peut alors être lue comme un simulacre de guerre entre ces deux mondes.

Bref, ce petit texte est un chef d’œuvre de style, d’intelligence et de sensibilité, qui résume parfaitement ce qu’était Stefan Zweig.


On en parle sur Biblioblog, chez Jules, chez Lilly, sur Bibliotheca, chez Majanissa et chez Flo.



Traduit de l’allemand (Autriche) par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent.
Le Livre de poche, 1991. – 94 p.

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U
Bonjour, j'ai vraiment adoré ce livre de Zweig, impressionnantes toutes ces parties de jeu d'échec !<br /> Unebibliophile.
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P
Entièrement d'accord ! Ce texte est une merveille! Et tout Zweig est à découvrir.
Q
je suis moi aussi un inconditionnel de Zweig, ravi d'avoir lu votre article, il en parle si bien
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P
Merci quetzal !
K
Zweig ne m'a jamais déçue. Je l'ai découvert l'année du bac, justement avec "le joueur d'échecs". J'en ai un souvenir un peu confus mais il m'en reste une très forte impression.
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P
Un auteur qui fait l'unanimité ! J'adore aussi :)
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P
Difficile de ne pas aimer un auteur qi a un tel style et autant de sensibilité ! :-))
K
C'est le seul livre de Zweig que j'ai lu et je l'ai vraiment adoré!  J'ai beaucoup aimé les différentes façons de voir le jeu d'échecs et l'écriture de Zweig m'a beaucoup plu.  Je relirai certainement cet auteur!
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M
lu et apprécié il y a bien longtemps, du coup je ne m'en souvenais plus très bien et ton point de vue est passionnant, du coup je suis retenté...
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L
je confirme!!! un indispensable à lire!!!! ;o)
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P
ou à relire :-)))
A
je l'ai lu récemment et j'ai également aimé. C'était mon 1er livre de cet auteur.
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P
J'espère que ce ne sera pas le dernier !
S
J'ai dévoré bon nombre de livres de stephen Zweig au lycée dont celui-ci. Je me souviens qu'à l'époque j'étais absorbé par ses livres à tel point que je lisais entre deux cours, assise dans les couloirs ! Depuis, je n'ai plus rien lu de lui. Il faudrait que je m'y replonge...
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P
J'ai connu ça aussi, la lecture entre deux cours assise dans le couloir, mais pas avec Zweig.
G
Je partage tout à fait ton avis sur ce titre et sur Zweig !
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P
Je considère que Zweig est un auteur incontournable !