Da gelo a gelo - Salvatore Sciarrino

Publié le par Papillon


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Ceux qui me connaissent doivent se demander ce que je pouvais bien fabriquer à la première d'un opéra contemporain, l'autre soir à l'Opéra Garnier, moi qui n'aime que la musique baroque ou romantique et en tout cas mélodique. Mais, hormis le fait que je passerais bien toutes mes soirées à l'Opéra Garnier, si je pouvais, tant je trouve le lieu magique et mythique, avec ses fantômes qui rodent dans les escaliers, il se trouve que l'opéra en question est inspiré du journal intime de la plus grande poétesse japonaise. Ceci explique cela.

 

Izumi Shikibu vécut à la fin du dixième et au début du onzième siècle et eut une vie amoureuse pour le moins chaotique, notamment une liaison avec le prince Atsumishi, qu'elle a abondamment mise en poésie dans son journal (1002-1003). C'est cet épisode qui a inspiré au compositeur italien Salvatore Sciarrino l'opéra Da gelo a gelo (De l'hiver à l'hiver).

 

Quand le Prince commence son entreprise de séduction, elle vient de perdre l'homme qu'elle aimait et elle s'est enfermée dans son chagrin. Elle le repousse, il insiste, elle cède. Commence alors une histoire d'amour étrangement désaccordée. Ils se voient peu, contraints à la discrétion. Ils s'écrivent des poèmes. Bientôt l'attente se fait insupportable. Elle lui reproche de la négliger, mais quand il vient, elle le laisse à la porte. Il promet de venir, se dérobe, la punit de son arrogance. Le texte, longue plainte poétique, traduit cette douleur qui n'en finit plus, et trace autour des deux amants un étrange paysage symbolique: lune, vent, pluie et neige. La musique, qui n'en est pas une, s'apparente plutôt à un bruitage de ce paysage de douleur et de passion : bruissement de vent, grincement de porte, sifflement d'oiseau, hurlement de la tempête. Ces sons désaccordés d'instruments torturés portent admirablement ce texte haché de plainte amoureuse, qui nous emporte jusqu'à la torture. A cela s'ajoute la scénographie japonisante et très chorégraphiée de Trisha Brown qui joue sur l'espace pour mettre en scène la distance, physique autant que psychologique, entre les deux amants.

 

Je le répète : je suis d'habitude complètement insensible à cette musique que l'on nomme dodécaphonique ou atonale, mais il est rare à l'opéra que tous les éléments se mélangent avec autant d'harmonie : un texte d'une grande beauté, porté par une musique sensible et magnifié par une mise en scène pure et esthétique. Je me suis laissée complètement emportée par ce spectacle que j'ai trouvé magnifique et bouleversant.


 

 

Da gelo a gelo, de Salvatore Sciarrino,

Cent scènes et soixante-cinq poèmes d’après le journal d’Izumi Shikibu,

Direction musicale : Tito Ceccherini

Mise en scène : Trisha Brown

Avec Anna Radziejewska (Izumi) et Otto Katzameier (le Prince)

 

A l'Opéra Garnier jusqu'au 10 juin.



Publié dans Théâtre - Opéra

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C
Je vais souvent à l'Opéra Garnier mais uniquement pour voir des ballets. Je n'ai encore jamais assisté à un opéra, mais il faut dire que les mises en scène contemporaines me rebutent. Celui dont tu parles a l'air cependant très tentant.  
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P
Si tu n'aimes pas les mises en scène modernes, ce n'est peut-être pas un spectacle pour toi...
F
Très belle critique qui me donne très envie d'y aller!!
Répondre
P
Tu peux tenter ta chance : il doit rester des places parce que la première représentation a été copieusement sifflée, ce que j'ai troivé très injuste. On a le droit de ne pas aimer la musique contemporaine, mais pas de mépriser un spectacle dont l'éxécution était parfaite.Mais je répète : c'est très moderne, à tous points de vue !