Sur la route du papier - Erik Orsenna
Comme tous les grands lecteurs, Erik Orsenna vénère le papier, qui fut pendant plus de deux millénaires l'unique support pour les histoires que les écrivains racontent et que les lecteurs lisent. A l'heure de la mort annoncée (mais toujours repoussée) de son fidèle ami, Erik Orsenna a décidé de lui rendre hommage en prenant la route du papier, nous offrant par la même occasion un troisième volume à son Petit précis de mondialisation.
Cette route démarre en Chine où le papier fut inventé deux siècles avant notre ère. Puis vint la bataille de Samarcande, en 751, où les Chinois affrontèrent les Arabes, qui les battirent, et emportèrent le secret de la fabrication du papier sur les rives de la Méditerranée. Au XIIIe siècle, le papier a conquis toute l'Europe, à tel point que les vieux chiffons (qui servent de base à la fabrication de la pâte à papier) vont devenir une denrée de plus en plus précieuse. En Italie ou au Japon, on invente des papiers de plus en plus précieux, de plus en plus raffinés. La fabrication se mécanise. Enfin, innovation décisive, la cellulose du bois remplace la fibre textile, au milieu du XIXe siècle. Après ce résumé de deux mille ans d'histoires du papier, la deuxième partie du livre s'intéresse au "papier présent", et est encore plus passionnante.
Erik Orsenna nous y apprend que l'on distingue aujourd'hui trois grands types de papier : le papier "noble" pour les livres et les journaux, le papier d'emballage et tous ses dérivés, et... le papier toilette sous toutes ses formes. Si la consommation de la première catégorie (ça ne surprendra personne) ne cesse de décroître, les deux autres sont au contraire en pleine expansion. Et qui dit papier dit bois, et donc déforestation, ou développement durable. On découvre ainsi que si les Suédois parviennent à préserver la plus grande partie de leur forêt, les Indonésiens massacrent la leur, sans vraiment se préoccuper des habitants, humains, animaux ou végétaux qui l'occupent. Mais qui dit papier dit aussi sans papiers, monnaie et fausse monnaie, méthodes anti-falsification. Qui dit papier dit emballages et recyclage (60% du papier est aujourd'hui du papier recyclé).
Autant de pistes qu'Erik Orsenna explore en nous entraînant de l'Inde à la Russie, en passant par la Canada et le Brésil, et en nous faisant pénétrer dans les lieux les plus secrets : de la salle des manuscrits de la Bibliothèque de France à l'usine de fabrication des billets de banque, de l'usine la plus moderne au centre de recherche le plus sophistiqué où l'on invente déjà le papier du futur, qui sera intelligent.
Si nos romans bien-aimés sont peu à peu condamnés au numérique, le papier, lui, n'a pas fini de nous étonner.
Stock, 2012. - 312 p.