Les ingratitudes de l'amour - Barbara Pym
Je viens de traverser une panne de lecture si sérieuse que la seule vue d’un texte imprimé me donnait la nausée. Pour en sortir, j’ai utilisé ma recette miracle : relire un de mes auteurs favoris. Et mon choix s’est porté sur Barbara Pym, romancière anglaise des années cinquante, injustement oubliée, dont la plume acérée est pour moi un délice.
Les romans de Barbara Pym sont peuplés de vieilles filles et de pasteurs. Il ne s’y passe pas grand-chose, excepté des ventes de charité, des offices religieux et des promenades à la campagne. Les hommes y sont le plus souvent ridicules, faibles et lâches.
Les ingratitudes de l’amour s’ouvre sur une rupture de fiançailles : Maurice vient de décider qu’il n’avait plus envie de passer sa vie avec Dulcie. Dulcie, la trentaine un peu terne, qui a pour occupation un peu sibylline d’être une « spécialiste des index et des bibliographies »1, s’inscrit à un colloque pour se changer les idées. Elle y rencontre Viola, une célibataire un peu prétentieuse, et surtout Aylwyn Forbes, séduisant directeur de revue. Elle ne tarde pas à découvrir qu’Aylwyn est en plein divorce et que Viola n’est pas complètement étrangère à l’affaire, ce qui ne l’empêche absolument pas de s’amouracher du fringant quadragénaire. Elle se lance donc dans une véritable enquête pour tout apprendre sur lui :
« — J’adore faire des découvertes sur les gens, reprit Dulcie. Je suppose que c’est une espèce de compensation pour pallier la monotonie de la vie quotidienne.
Viola la regardait fixement, étonnée qu’une femme pût avouer une faiblesse aussi grave que le besoin de compensation.
— Vous pourriez vous marier, dit-elle sans y croire, se rappelant les lourdes chaussures au bout des jambes trop minces.
— Oui, approuva Dulcie, je pourrais. Mais, même si je me mariais, je ne pense pas que mon caractère changerait beaucoup. »
Toute l’intrigue repose donc sur cette question : la terne Dulcie réussira-t-elle à séduire ce bellâtre d’Aylwyn ? Mais l’intérêt du roman et le plaisir de lecture résident surtout sur l’art du dialogue et l’excentricité des personnages. Barbara Pym dépeint la société de son temps avec une causticité non dénuée d’amertume. On y voit des femmes indépendantes, certes pas très jolies, mais intelligentes et qui ne se débrouillent pas si mal dans la vie, et qui n’en rêvent pas moins de mariage, moins pour l’aspect romantique de la chose que par conviction que seul cet évènement fait d’une femme une « vraie femme ». Le mariage est par ailleurs dépeint avec un certain cynisme, comme une aventure aussi incontournable que périlleuse et peu encline à apporter le bonheur.
« Vous prenez une assiette et vous choisissez ce que vous voulez, puis vous payez ce que vous avez : c’est une bonne idée, non ?
— Oui, n’est-ce pas…et qui ressemble pas mal à la vie, remarqua Dulcie. Sauf que dans la vie, vous ne pouvez pas toujours choisir exactement ce que vous désirez. »
Alors, n'hésitez plus à entrer dans le monde so british et pas du tout poussiéreux de Barbara Pym.
Traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff.
10/18, 1993 (1e edition 1961). – 348 p.
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1Je pense que l’on pourrait traduire aujourd’hui par « documentaliste », métier qui n’a toujours pas d’équivalent dans la langue anglaise et qui est considéré par Barbara Pym comme le summum de l’ennui, ce qui me fait personnellement beaucoup de peine.
« Est-ce que tous, ici, nous corrigeons des épreuves, établissons des bibliographies et des index, bref, nous chargeons de toutes les tâches ingrates les plus monotones pour le compte de gens plus brillants que nous-mêmes ? »