Les grands – Sylvain Prudhomme
Rentrée littéraire 2014
Il y a trente ans, Couto a eu son heure de gloire, quand il était le guitariste du Super Mama Djambo, groupe mythique de la Guinée-Bissau des années 70, au lendemain de la guerre d’indépendance, un groupe qui incarnait la flamme nationale de tout un peuple. Aujourd’hui Couto, toujours beau mais vieillissant, vivote de petits boulots, et quand il joue encore de la guitare, c’est plus pour le folklore que pour la gloire. Ce matin-là, il est sonné par la nouvelle : Dulce est morte. Dulce, chanteuse du groupe, aux yeux de braise et à la voix de velours ; Dulce, l’icône populaire, qui fut son premier et grand amour ; Dulce qui les avaient quittés, lui et le groupe, un beau matin, pour épouser un homme riche et ambitieux, futur chef d’état-major de l’armée, un homme qui est justement en train de fomenter un coup d’état dans l’indifférence quasi générale.
« Couto avait senti battre son cœur, reconnu la douceur des premières notes d’Assalariado. La longue intro des guitares, comme une ballade avant l’entrée des voix. Le phrasé de Dulce enfin qui arrivait, plus naïf, plus enfantin dans ce morceau que dans aucun autre. »
Alors Couto va passer la journée a arpenter les rues de sa ville, Bissau, à la rencontre de ses vieux potes musiciens pour leur apprendre la nouvelle, ces hommes qui sont encore des héros et que l’on surnomme affectueusement « les grands ». Ensemble, ils vont préparer un concert d’hommage à Dulce. Les déambulations de Couto sont aussi l’occasion de revisiter le passé, revivre les années de lutte dans l’armée rebelle qui libéra le pays de la tutelle portugaise, les années glorieuses des tournées à travers le monde, les années passionnées de sa vie avec Dulce. En toile de fond se dessine l’histoire de la Guinée Bissau, qui au lendemain de l’indépendance rêvait d’une vie de prospérité et de liberté, des rêves qui furent bien vite confisqués par « les bouffeurs », hommes politiques avides et corrompus, valets des narcotrafiquants et marionnettes des militaires.
« I muri gosi, elle est morte maintenant, et il n’avait su si c’était à Dulce qu’il pensait ou à la ville éclairée de tirs de roquette, aux espérances d’une époque qui finissait. »
Mais il n’y a pas de désespoir chez Couto et ses amis, plutôt une forme de saudade à la portugaise, une mélancolie joyeuse et désabusée, mélange d’autodérision collective et de fierté bafouée. La fierté guinéenne, elle, n’est pas morte et s’incarne dans cette belle jeunesse que Couto croise au coin des rues : voyous flamboyants prêts pour la lutte, filles insolentes prêtes pour l’amour, rappeurs arrogants prêts pour la gloire.
Un roman envoûtant comme un goumbé, qui colle des frissons, et dont la plume évocatrice et musicale, mélange de créole et de français, restitue toute la sensualité de l’Afrique : chaleur et moiteur, odeurs et saveurs, rythmes et percussions.
C’est François Busnel qui m’a donnée envie (LGL du 02/10).
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